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Flanerie-historique-dans-l-ancien-duche-de-Savoie.over-blog.com

Les articles proposent une flanerie historique dans les anciennes terres des ducs de Savoie, c'est à dire l'Ain actuel, les départements de Savoie et de haute Savoie, les Alpes Maritimes, le Piémont et la Suisse romande. L'objectif est de faire coincider l'histoire et le patrimoine existant

Le programme de Fortification d'Emmanuel Philibert, le reflet d'une volonté de centralisation de l'état ?

Le programme de Fortification d'Emmanuel Philibert, le reflet d'une volonté de centralisation de l'état ?

Les citadelles de Villefranche et de Mondovi sont les derniers vestiges de la campagne de fortification des états de Savoie projeté par Emmanuel Philibert dans la deuxième moitié du XVI e siècle. Le but de cette campagne a été la construction de forts et de citadelles qui puissent résister à la nouvelle artillerie à feu qui s'est considérablement développée au cour de ce même siècle.

En effet, les hauts murs des châteaux ainsi que les hautes tours devenaient très vulnérables devant la puissance de feu des nouveaux canons. De ce fait, les ingénieurs changèrent radicalement la forme des places fortes. Ils baissèrent considérablement la hauteurs des courtines et des tours et remplacèrent cette défense par des fossés démesurés.

Ils développèrent aussi la défense par le tir flanquant, ce qui donna à ses forteresses une forme si spéciale, souvent en étoile avec des bastions pointues. Chaque mur devait être défendu par une bouche à feu, ce qui rendait la forteresse quasi-imprenable.

Même si on attribue à Emmanuel Philibert beaucoup de mérite, notamment celui-ci, il semble que ce soit son père, le malheureux Charles III qui a initié cette campagne de fortification dans ses états.

En effet, c'est lui qui vers l'année 1517 va entreprendre la construction de la citadelle sur le rocher de Nice. La construction vise alors à reprendre le mur qui sépare la partie haute du rocher de la partie basse et de lui rajouter trois bastions en forme de tour. Elle a pour but de faire de la ville haute de Nice, une citadelle en augmentant le périmètre du château médiévale sur tous le plateau. Cette fortification jouera bien son rôle puisqu'elle contribua à l'échec du siège franco-Turc de 1543 sur la ville. C'est peut être ce résultat qui va inciter le duc Emmanuel Philibert à poursuivre et à amplifier ce programme de fortification dès qu'il récupéra ses états.

Nice, partie haute de la ville haute sur le rocher. Nous voyons bien le gros mur de séparation avec les trois bastions en forme de tour. A droite, il y a le château médiéval et l'église est la cathédrale de Nice qui sera finalement détruite.

Nice, partie haute de la ville haute sur le rocher. Nous voyons bien le gros mur de séparation avec les trois bastions en forme de tour. A droite, il y a le château médiéval et l'église est la cathédrale de Nice qui sera finalement détruite.

Nice ne semble pas être la seule ville a avoir eu un programme de fortification puisque au début du XVI e siècle, on construit déjà un "boulevard" à Bourg en Bresse et il semble que l'on fasse la même chose à Turin.

C'est curieusement ces deux villes qui seront fortifiés par les français lors de l'occupation du duché de Savoie entre 1536 et 1559. Turin est à cette époque, encore une ville qui a la physionomie d'une ville romaine en damier et qui a encore ses fortifications romaines. Les français vont raser ses murailles (qui sont obsolètes pour l'artillerie) et construire quatre bastions aux angles de la villes. Pour cela ils n'hésiteront pas à raser le vieux monastère de Saint Solutor qui se trouve à un des angles de la ville.

A Bourg en Bresse, les français firent la même chose qu'à Turin. L'adjonction de bastions ne se passa pas aussi bien qu'à Turin puisque les français voulurent détruire la collégiale Notre Dame qui venait d'être construite et était la fierté de la ville. La collégiale, grâce à la ténacité des burgiens resta heureusement en place mais la ville fut quand même garnie de bastions.

A cette époque, il ne restait au duc de Savoie Charles III, que Nice, Verceil et le Val d'Aoste. Nice avait été assiégé en 1543 comme nous l'avons vue, mais Verceil, dernier refuge de la cour de Savoie ne tarda pas à être assiégée à son tour. En effet, dix ans après le siège de Nice, elle fut prise et pillée par les troupes françaises. Seule la citadelle résista.

Cette citadelle a été la première citadelle des états des Savoie à avoir été construite. Elle ne le fut pas par la volonté des Savoie, mais par celle des Visconti qui les ont précédé avant 1427. Cette citadelle était même une des plus vieille citadelle d'Europe. Là encore, la citadelle a jouée son rôle puisqu'elle permit  un dernier refuge au duc de Savoie et donc la survie de ses états.

Ville de Verceil. La ville possédait une citadelle dès la fin du XIV e siècle. Emmanuel Philibert lui fit donner des améliorations. La citadelle se trouve à droite.

Ville de Verceil. La ville possédait une citadelle dès la fin du XIV e siècle. Emmanuel Philibert lui fit donner des améliorations. La citadelle se trouve à droite.

C'est  entre 1554 et 1557 (peut être avant) et dans la cadre de la lutte entre la France et l'Espagne qu'émergea l'idée de fortifier le port de Villefranche sur mer ; cela dans le but de garder le contrôle d'une des meilleurs rade au monde, mais aussi de renforcer la position de Nice.

La citadelle Saint Elme est aussi un des rare vestige de la campagne de fortification  d'Emmanuel Philibert (avec la forteresse de Mondovi qui est cependant beaucoup moins intéressante) ainsi que la fort de Mont Alban qui est en réalité un fortin destiné à contrôler le passage entre Nice et Villefranche, le col de Villefranche. Elle nous permet d'entrevoir à quoi ressemblait toutes les autres citadelles qui ont disparu.

Le dispositif de défense du littoral fut complété par la construction du fort de Saint Hospice et d'une tour dans l'actuel Beaulieu pour éviter le débarquement de l'autre côté de la presqu'île de Saint Jean Cap Ferrat.

Entrée de la citadelle Saint Elme à Villefranche sur mer

Entrée de la citadelle Saint Elme à Villefranche sur mer

Dès la restitution de ses états par la France, la fortification de ses principales villes fut une priorité. Ils fit construire à Bourg en Bresse et dès 1563 à Turin de formidables citadelles qui seront les plus grandes construites sous sont programme.

La citadelle de Turin allait à la fois protéger sa ville contre une agression extérieur mais aussi empêcher tout soulèvement des habitants de la ville à l'encontre du duc. C'est cette formidable forteresse qui résista aux troupes de Thomas de Savoie dans la guerre civile entre madamisti et principisti, mais surtout qui résista au siège de Turin par les troupes de Louis XIV en 1706 et sauva l'état savoyard. 

Turin, la ville carrée et la citadelle.

Turin, la ville carrée et la citadelle.

La citadelle de Bourg en Bresse, elle, protégeait la principale ville de la Bresse contre une agression venant soit de Genève (tenue par les luthériens), soit de Lyon, soit de la Bourgogne. Le danger, outre une invasion française, était une invasion des bernois venant de Genève ou de la Franche Comté (les bernois aurait pu passer aussi par les franche comté qui n'avait alors aucun mécanisme de défense).

Le danger était aussi une invasion venant de Lyon (Lyon était a été un bastion du protestantisme entre 1562 et 1567). La citadelle de Bourg en Bresse était donc une grosse place forte. C'était la sœur jumelle de celle de Turin. Cette architecture et sa dimension montrent aussi l'importance de la ville pour les ducs de Savoie. Emmanuel Philibert lui accorda la croix de Saint Maurice comme armoirie en raison de son héroïque résistance à l'occupant français entre 1536 et 1559.

La citadelle de Bourg en Bresse fut détruite vers les années 1611. Cette destruction est peut être dû au fait que la France pensait que la Bresse allait surement retourner à la Savoie comme cela s'est passé en 1559. C'était une façon de faire disparaître une future menace sur la ville de Lyon au cas où la ville retournait au duc de Savoie.

vue cavalière de la citadelle de Bourg en Bresse selon le graveur Chastillon.

vue cavalière de la citadelle de Bourg en Bresse selon le graveur Chastillon.

plan de Bourg en Bresse à la fin du XVI e siècle. On y voit l'importance de la citadelle par rapport à la ville. On distingue aussi les bastions qui ont été construits par les français entre 1536 et 1559

plan de Bourg en Bresse à la fin du XVI e siècle. On y voit l'importance de la citadelle par rapport à la ville. On distingue aussi les bastions qui ont été construits par les français entre 1536 et 1559

Il fut aussi envisager de construire une puissante muraille munie de bastion autour de la ville de Savigliano. Mais le retour en 1563 de cette ville à la France jusqu'en 1574 a fait échouer ce projet.

Le plus important château fort de la Savoie, Montmélian, fut aussi renforcée et munit de bastions. Cette forteresse protégeait les vallées de Maurienne et de Tarentaise, mais aussi l'accès à Chambéry. Montmélian fut à la tête de deux fortifications secondaires, Conflant près d'Alberville et Charbonnière à Aiguebelle qui renforçait ce dispositif. Le duc de Savoie fit construire aussi une forteresse à Rumilly pour protéger le Bugey et Chambéry d'une invasion bernoise. A cette époque, une grande partie de l'actuelle haute Savoie faisait partie de l'apanage de Savoie-Nemmours et était donc semi-indépendant d'où l'impossibilité de construire une forteresse plus au nord. Le duc renforça la maison forte de la Cluse près de Bellegarde qui contrôlait l'accès au Bugey par le pays de Gex.

Cette dernière province et le Chablais ont été des possessions bernoises jusqu'en 1564. C'est seulement dans les dernières années du XVIe siècle que le duc entrepris la construction du fort Saint Catherine à Viry contre les protestant.

fossé et un des bastions de la citadelle Saint Elme à Villefranche sur mer. Il y avait une échaugette dont on voit encore le soubassement

fossé et un des bastions de la citadelle Saint Elme à Villefranche sur mer. Il y avait une échaugette dont on voit encore le soubassement

Dans le Piémont, la citadelle de Verceil fut renforcée. Elle protégeait le duché d'une invasion venant de Milan. Dans la Piémont du Sud, une grande citadelle fut construite sur les hauteurs de Ceva. Elle verrouillait à la fois le passage du marquisat de Montferrat au Piémont du Sud, mais aussi d'une invasion venant de la République de Gêne.

A Mondovi, fut construite à la place de la ville haute, une citadelle. Il semble que celle-ci n'a eu qu'une action répressive envers la population de la ville de Mondovi et du Montrégalais alors en perpétuelle rébellion contre le duc de Savoie.

Cette citadelle n'a pas été construite par l'habituel ingénieur militaire qui construisit quasiment l'ensemble du programme de fortification d'Emmanuel Philibert. En effet, la majorité des forts et des citadelles avaient été construites par Francesco Piaciotto aidé de son frère Oracio.

Mondovi était une forteresse assez mal construite d'un point de vue architectural. Il semble que cela soit voulu afin de la reprendre facilement au cas ou les rebelles du montrégalais s'en emparent. La construction de cette citadelle avait eu aussi comme objectif de punir la ville rebelle : on rasa ainsi tous les édifices de prestige de la ville : la cathédrale (qui était une des plus belle du piémont), le magnifique couvent des Dominicain et les plus luxueuses demeures de la ville. Toute la parure monumentale de la ville disparue.  

Le lieu féerique de Villefranche sur mer

Le lieu féerique de Villefranche sur mer

Le duché de Savoie a toujours eu la réputation d'avoir été un des états les plus fortifié d'Europe. De nombreuses forteresses telle Exilles, l'Esseillon, Fenestrelle ou la citadelle de Villefranche sur mer sont là pour nous le rappeler.

Si ces citadelles ont eu un rôle fondamentales pour la défense de l'état, que certains malheureusement minimisent, elles ont aussi été essentielles dans la formation d'un état moderne telle que nous le connaissons. La citadelle, ou le fort est un ouvrage qui nous rappelle la défense de l'état, sa frontière et donc l'existence même d'un état territorialisé. La campagne de fortification d'Emmanuel Philibert nous signale l'aboutissement d'une transition   d'un état de type médiéval à un état moderne

En effet, les citadelles ont eu aussi comme mission de cadrer les villes, voir de les punir au cas échéant comme nous le rappelle encore la citadelle de Mondovi. Mais cet exemple, que nous retrouvons à Savone pour la république de Gênes (ville qui a été aussi punie et qui a aussi perdu sa parure monumentale) nous questionne à propos de Nice, mais aussi dans une moindre mesure pour Turin, Verceil et Bourg en Bresse.

C'est d'ailleurs dans cette optique de "punition" qu'il faut comprendre la volonté de détruire de la part des français, la collégiale notre Dame (aujourd'hui co-cathédrale) de la ville de Bourg en Bresse pour y construire des bastions.

Emmanuel Coux

La citadelle et une partie de la rade de Villefranche

La citadelle et une partie de la rade de Villefranche

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