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Flanerie-historique-dans-l-ancien-duche-de-Savoie.over-blog.com

Les articles proposent une flanerie historique dans les anciennes terres des ducs de Savoie, c'est à dire l'Ain actuel, les départements de Savoie et de haute Savoie, les Alpes Maritimes, le Piémont et la Suisse romande. L'objectif est de faire coincider l'histoire et le patrimoine existant

L'Ordre de la Visitation, une notoriété faussement savoyarde

Eglise de la Visitation d'Annecy (photo E. Coux)

Eglise de la Visitation d'Annecy (photo E. Coux)

La Visitation est un des Ordres féminins les plus importants de la contre-réforme catholique.Sa notoriété vient en partie du fait qu’il a été co-créé par le grand Saint-François-de-Sales lui-même avec l’aide de la très dynamique Jeanne de Chantal. Ce dernier était auréolé dans l’espace catholique du succès de sa « reconquête religieuse du Chablais », reconquête connue parce qu’instrumentalisée par les autorités catholiques et le duc de Savoie Charles Emmanuel 1er . 

 

François de Sale représente actuellement la figure de la Savoie religieuse. Son "je suis savoisien" est très connu. Pourtant, le succès de la Visitation semble se faire surtout en France. C’est donc un Ordre d’abord français même si sa première maison est à Annecy. D’ailleurs, l’Ordre prendra sa forme définitive, d’Ordre cloîtré, sous l’injonction de l’archevêque de Lyon en 1615 lors de la deuxième fondation de L’Ordre.

 

A la mort de Saint François de Sales, à part celle d’Annecy, les 12 autres premières maisons de l’Ordre sont en France. Paris a son couvent dès 1619. Cette ville aura même un second couvent en 1626. Le développement de l’Ordre en France est « fulgurant ». Plusieurs grandes villes auront même deux couvents comme à Lyon, Grenoble, Rouen, Marseille et bien-sûr Paris. Avant la révolution sur les 149 couvents de l’Ordre dans le monde, il y en a une centaine en France et bien peu dans le Royaume de Piémont-Sardaigne. 

 

Pourtant l'image de cet Ordre et de ce Saint reste définitivement attachée à la Savoie et aux montagnes. Nous essayerons donc, dans un premier temps, de comprendre les raisons des premières fondations et des freins qui ont empêché un plus grand développement de l'Ordre dans le duché de Savoie. Puis nous démontrerons les raisons qui ont mise en avant l'image savoisienne et montagnarde de Saint François de Sales et de son Ordre. 

 

Un développement poussif et secondaire de l'Ordre en Savoie

Dans le duché de Savoie, le bilan de l'Ordre de la Visitation au XVIIe et XVIII e siècle est assez maigre à part Annecy qui va compter un second couvent. Si le deuxième couvent de l'Ordre dans le duché de Savoie est créé à Chambéry  en 1624 dans le faubourg reclus, cette fondation sera poussive. Les bâtiment seront seulement édifiés entre 1635 et 1636 et la chapelle terminée seulement en 1726. C’est aussi la 16e fondation de l’Ordre après 14 autres couvents fondés en France. 

Eglise de la Visitation de Chambéry (1726) Aujourd'hui, chapelle du lycée Vaugelas. Une des plus belle façade baroque de Chambéry (Photo E. Coux)

Eglise de la Visitation de Chambéry (1726) Aujourd'hui, chapelle du lycée Vaugelas. Une des plus belle façade baroque de Chambéry (Photo E. Coux)

En 1625, un couvent sera fondé à Rumilly, puis en 1626 à Thonon-les-bains. C’est des fondations qui sont facilitées car elles sont dans le diocèse de Genève. Cependant, la date de Thonon est aussi très tardive en regard de l’ambition qu’avait François de Sales et le duc de Savoie de faire de la « Sainte Maison de Thonon » un des centres de la chrétienté dans la partie Nord Ouest du duché de Savoie ; et de rassembler dans cet endroit le plus grand nombre de Maisons religieuses. A cette époque, Thonon avait déjà eu plusieurs Ordres et congrégations, comme les Oratoriens (qui a ensuite échoué), les Feuillants (à Abondance en 1604), les Barnabites (1616) , et les Chartreux (à Ripaille en 1604 ou 1623), un couvent d’Annonciades et les Capucins (1602). les Minimes et les Ursulines ne viendront à Thonon qu’en 1649 et 1634. Dans le même diocèse, mais en France sera fondé les couvents de la visitation à Seyssel en 1651 et à Gex (la partie Ouest du diocèse de Genève est française depuis 1601).

 

Dans le reste du duché, les fondations seront plus problématiques. Si un couvent est fondé à Aoste en 1633, la fondation d’un couvent à Turin,  dans la capitale de la Savoie, sera très difficile. Elle est pourtant essentielle à Jeanne de Chantal si elle veut développer son Ordre en Savoie et en Italie. La stratégie sera de fonder d'abord un couvent à Pignerol en 1634. La facilité vient du fait que Pignerol est une entrée du Piémont et une ville Française. Ce seront les moniales d’Embruns qui se chargeront de sa fondation. Le couvent à Turin verra le jour ensuite, mais seulement en 1638. Il aura fallu attendre la mort du duc Victor Amédée 1er et que sa femme Christine de Bourbon, sœur de Louis XIII, "une française" gouverne seule le duché en tant que régente.   

L'immense couvent de Pignerol qui s'impose dans le paysage (Photo E. Coux)

L'immense couvent de Pignerol qui s'impose dans le paysage (Photo E. Coux)

Ce couvent est surtout la clef pour l’Italie. En 1671, les moniales de Turin fondèrent enfin un couvent à Rome. Ce succès pourtant, ne semble pas avoir eu des répercutions pour le couvent de Turin qui a pourtant été réédifié à neuf en 1662 par l’architecte Lanfranchi. Cette réédification est surtout dû au fait que Saint François de Sales venait d’être canonisé (béatifié en 1661 et canonisé en 1665). L’Ordre entier profite de cette gloire.

 

En 1673, deux ans après la fondation de Rome, une moniale du couvent de Paray-le-Monial en France va avoir des visions de Jésus. C’est le début d’un nouveau culte du « Sacré Coeur » qui va être développé par les visitandines françaises et qui va avoir un très gros succès au XIX e siècle en France.

 

Le contraste est aussi visible entre les revenus des grands couvents français et des petites maisons en Savoie. Par exemple, le revenu de la maison de Seyssel est de 3123 livres en 1792 et celui du couvent de Thonon est de 2099 livres en 1790 . A Paris les revenus moyens dans la seconde moitié du XVIII e siècle sont 69 000 livres pour le monastère de la rue Saint Antoine, de 57 000 livres pour celui du faubourg Saint Jacques et 49500 pour celui de la rue du bac.

Reste du couvent de la Visitation de Belley fondé en 1622, détruit en 2017 (Photo E. Coux)

Reste du couvent de la Visitation de Belley fondé en 1622, détruit en 2017 (Photo E. Coux)

Les raisons du développement de l'Ordre vers la France

La raison du développement de cet Ordre vers la France est multiple. Déjà, en 1601, une partie du diocèse de Genève devient Français, dont les localités de Chanaz, de Seyssel (Y compris Seyssel Haute Savoie), Ceyzérieu et de Gex. L’échec du duc de Savoie devant Genève en 1602 est un échec pour la Savoie, mais aussi pour la catholicité (c’est un miracle en faveur des protestants). Cela obligera François de Sales à aller chercher un soutien du côté français.

 

Les liens avec la France sont aussi très forts car une grande partie du diocèse de Genève fait partie de l’apanage des ducs de Savoie-Nemours (sauf le Chablais, le Valromey et le pays de Gex). Annecy, le nouveau chef lieu provisoire du diocèse est aussi la capitale de l'apanage. A part l'incartade de Charles Emmanuel de Savoie Nemours (1585-1595), gouverneur de Lyon qui revendiqua même la couronne française, les ducs  de Savoie-Nemours sont pour l'ensemble, fidèles à la politique française et gravitent autours du roi de France.

 

En 1604, François de Sales qui se rend souvent en France fait la connaissance à Dijon de Jeanne de Chantal. Celle-ci était la fille du président du parlement de Bourgogne, Bénigne Frémyot. Elle est alors en pleine recherche de spiritualité et elle va suivre le prélat à Annecy. De ce fait, les réseaux qui vont jouer dans l'expansion de l'Ordre sont d'abord et surtout les réseaux de Jeanne de Chantal qui sont en France. Aussi bien les réseaux familiaux que les réseaux liés à la charge de son ex-mari dans les hautes charges administratives françaises.  

 

Il est aussi intéressant de mettre en parallèle les premières fondations de couvents en France et les relations de la Savoie à la France. En 1613, la guerre de Montferrat va une deuxième fois opposer les Espagnols avec le duc de Savoie et rapprocher une seconde fois la Savoie de la France. Ce rapprochement qui commence en 1616-1617, va avoir son apogée en 1619 avec le mariage de l’héritier, Victor- Amédée 1er avec Christine de France, sœur de Louis XIII. Ce mariage a notamment été négocié à Avignon en 1618 par Saint François de Sales.

Tableau de François de Sales (Montluel, venant de la visitation) E. Coux

Tableau de François de Sales (Montluel, venant de la visitation) E. Coux

Nous voyons donc que le prélat de Genève est un maillon important dans les relations entre la France et la Savoie et qu’il pousse à des bonnes relations. Il a tout à y gagner. Notamment la création d’une coalition franco-savoyarde pour reprendre militairement Genève. L’Espagne ne l’intéresse guère même si elle a la Franche-Comté. Elle a, dans le passé, soutenue que très mollement les expéditions du duc de Savoie contre les protestants. Il sait aussi que l’Espagne même en guerre contre la Savoie ne pourra pas s’allier avec les protestants. De ce fait, la reconquête de Genève passe par la France.

 

En parallèle à se rapprochement, nous avons donc le développement de l’Ordre en France. Il est inexistant entre 1610 et 1615. Le duc de Savoie interdit même à Saint François de Sales de se rendre en France car il soupçonne le prélat d’intelligence avec ce pays. Les relations entre la Savoie et la France entre 1610 et 1613 sont glaciales. Les premières fondations commencent donc seulement en 1615 à Lyon , puis en 1616 à Moulin et à Nevers. Ces couvents semblent avoir été le fruit des réseaux de Jeanne de Chantal comme en 1618, à Bourges où l’archevêque est son propre frère.

 

Mais en 1622, à la mort du Saint, après 13 fondations dont certaines très prestigieuses, aucun autre couvent à part celui d’Annecy est fondé en Savoie. L'anecdote sur l'Ordre des feuillant est très parlante sur la partialité et la stratégie de François de Sales. En arbitrant en 1621 en faveur de la France dans la dispute pour le commandement de l’Ordre des Feuillants, Saint François de Sales a pris le risque de geler définitivement les relations entre lui et la famille ducale. Sa mort, à Lyon, montre aussi que son intérêt était dirigé essentiellement vers la France et non vers la Savoie.

couvent des Feuillants de Pignerol où à eu lieu le chapitre des Feuillants en 1622, Aujourd'hui Abbazia Alpina (Photo E. Coux)

couvent des Feuillants de Pignerol où à eu lieu le chapitre des Feuillants en 1622, Aujourd'hui Abbazia Alpina (Photo E. Coux)

Le duc de son côté n’avait aucun intérêt à favoriser l’Ordre de la Visitation. Même si le premier couvent était à Annecy, l’Ordre n’était pas structuré et donc le couvent d’Annecy ne commandait rien (l’Ordre se structura très tardivement au XX e siècle seulement). En plus, ce n’était même pas le plus riche des couvents et de loin.

 

Les raisons des principales fondations dans le duché de Savoie

Mais la fondation en 1624 du couvent de Chambéry semble être le résultat du besoin du duc de Savoie de l’alliance française pour mener à bien sa guerre contre Gênes (1ère guerre savoisine). Et vu le résultat de cette guerre et de l’alliance française, nous comprenons le lent démarrage de ce couvent qui prend forme en réalité qu’en 1635. C’est dans le cadre de cette alliance qu’il faut comprendre la fondation des couvent de Rumilly et de Thonon (qui a été fondé d’abord à Evian en 1625 puis transféré à Thonon en 1626/1627).

 

Nous avons de nouveau un refroidissement des relations entre la Savoie et la France et une guerre entre 1629, 1630 qui abouti au traité de Cherasco. Celui-ci donne Pignerol à la France. C’est ensuite dans le cadre d’un dégel que nous avons une série de fondations : en 1633  à Aoste,  en 1634 à Pignerol (qui est facilité par le fait que Pignerol est française), puis la fondation d’un second couvent à Annecy commencé en 1634, nous avons la véritable reprise du couvent de Chambéry en 1635 et enfin à Nice la même année.

 

Mais toutes les fondations savoyardes sont des fondations mineurs. Il faudra attendre 1638 pour avoir enfin un couvent à Turin dans un cadre particulier. La régente du duché est française et elle est en pleine guerre contre les Espagnols qui ont annexé la ville de Verceil. Mais la fondation n’est pas dû directement à la régente mais vient plutôt d’une fille bâtarde du duc Emmanuel-Philibert, Mathilde de Pianezza.

Le couvent d'Annecy (photo E. Coux)

Le couvent d'Annecy (photo E. Coux)

C’est aussi justement à Verceil, dans le cadre de la  guerre civile entre les partisans de l’Espagne, les Principisti et les partisans de la France, les Madamisti, qu’est fondé un monastère de cet Ordre en 1641 ou 1642. Cela ressemble à une appropriation de cet Ordre par les Principisti dans le cadre d'une guerre dévotionnelle parallèle à la guerre civile, Cette  hypothèse semble probable à la fois par la date haute de cette fondation (en pleine guerre civile), mais aussi par le parallèle que l’on peut faire avec le sanctuaire d’Oropa qui a été « récupéré » aussi par les Principisti. D’autant plus que c’est cette année que se place la mort de Jeanne de Chantal, ce qui peut faire penser que cette fondation s’est faite hors de contrôle stratégique. Françoise-Madeleine de Chaugy qui semble reprendre les rennes de l’Ordre doit encore à cette date se légitimer (à travers l’écriture de la vie de Jeanne de Chantal par exemple qui sort en 1642)

 

La fondation de Verceil semble donner un arrêt à l’expansion de cet Ordre dans le duché de Savoie suite à la victoire des Madamisti. D’autant que la fondation de Verceil a été une des seules fondations de la Maison de Savoie puisqu’elle l’a été par Marie Appolonie, sœur de Françoise Catherine (morte en odeur de sainteté à Oropa) et la fille du duc Charles Emmanuel 1er

Saint Borromée (archevêque de Milan), entre deux autres Saints. Retable chapelle latérale église de la Visitation à Annecy (Photo E. Coux)

Saint Borromée (archevêque de Milan), entre deux autres Saints. Retable chapelle latérale église de la Visitation à Annecy (Photo E. Coux)

C’est évidemment dans le diocèse de Genève qu’à eu lieu le plus grand nombre de fondations. Elles ont été favorisées par les successeurs de Saint François de Sales à la tête du diocèse qui ne sont autres que Jean-François de Sales (1622 à 1635), le propre frère de Saint François et après un court intermède, Charles-Auguste de Sales (1645-1660), un autre membre de la famille de Saint François. C’est justement entre 1645 et 1660 que nous avons la fondation des couvents de Seyssel et de Gex mais dans la partie française du diocèse. C’est aussi après 1645 (de 1645 à 1652) qu’est construit l’église de la Visitation d'Annecy, qui est un des monuments baroques les plus intéressants de Savoie.

 

La fondation du couvent de Nice entre 1634 et 1635 est aussi dû à la volonté d’un autre membre de la famille de Sales, Jean, le propre frère de Saint François qui est gouverneur de Nice à cette date. La famille de Jeanne de Chantal est aussi mise à contribution. Outre son frère qui est archevêque de Bourge et qui a fondé le monastère dans cette ville, ce sera grâce à son gendre, de Touloujon, qui est gouverneur de la forteresse, qu’il y aura un couvent dans la ville de Pignerol, couvent intéressant pour donner un attrait de l’Ordre dans le Piémont.

intérieur du couvent d'Annecy. Remarquez le magnifique retable baroque (Photo E. Coux)

intérieur du couvent d'Annecy. Remarquez le magnifique retable baroque (Photo E. Coux)

Un Saint savoisien pour une historiographie très orientée sur le rapprochement entre la Savoie et la France :

Même si le développement de l’Ordre de la Visitation est digne des meilleurs chefs d’entreprises ou managers, François de Sales et Jeanne de Chantal font partie de ceux là (comme le rappel dans sa thèse Michel Bauer), le bilan pour le duché de Savoie est en réalité bien maigre. Il y a un réel déséquilibre entre la France et la Savoie en ce qui concerne le nombre de fondations, la richesse des fondations et leur prestige. Seuls des membres très secondaires de la Maison de Savoie sont impliqués dans deux fondations ; à Turin (la bâtarde Marie de Pianezza) et à Verceil (Marie Appolonie de Savoie).

 

Bien pire, le processus de la canonisation de François de Sales, initié en 1661 par la France, va ouvrir une fissure entre la mère supérieur du couvent d’Annecy, Françoise-Madeleine de Chaugy et le duc de Savoie Charles Emmanuel II (Il va la disgracier). (Françoise-Madeleine de Chaugy était une descendante de Jeanne de Chantal et de Touloujon). Elle va notamment mettre en valeur la fidélité des ancêtres de Jeanne de Chantal au roi de France (qui étaient aussi ses ancêtres). Le contexte dans le Genevois va aussi changer. Le retour de l'apanage dans les mains du duc de Savoie en 1659 va permettre à ce dernier de nommer à la tête du diocèse de Genève en 1660, un homme très fidèle, Jean d'Arenthon d'Alex. 

 

Se pose alors la question de l’historiographie liée à Saint François de Sales et de la visitation, historiographie en plus très étoffée. Le saint et son Ordre deviennent un archétype de la Savoie alors que c'est tout le contraire : l’Ordre de la Visitation s’est développé plutôt en France et Saint françois de Sales, dans ses décisions politico-religieuses a nettement favorisé la France au détriment de la Savoie.

Une des plus belle façade baroque de Savoie. le couvent d'Annecy (Photo E. Coux)

Une des plus belle façade baroque de Savoie. le couvent d'Annecy (Photo E. Coux)

L’explication peut provenir d’une part du succès des salésiens qui ont imposé une acceptation du Saint et de l’Ordre. D’autre part, malgré le nombre important d’articles sur Saint François de Sale et de la Visitation, très peu insistent sur l’arbitrage lors du chapitre de Sainte Marie de Pignerol, très peu aussi parlent de la fulgurante ascension de l’Ordre en France et de la difficulté de l’Ordre dans le duché de Savoie. De même, très peu d’articles insistent sur la méfiance du duc de Savoie envers le prélat. D’autre part, l’église a horreur de parler de politique, se contentant de rester sur le champs spirituel.

 

Le succès de la Visitation est dû aussi grâce aux nombreux écrits de Saint François de Sales qui sont des best-sellers, mais aussi grâce surtout aux nombreuses biographies du Saint et de celle de Jeanne de Chantal écrite par sa parente en 1642. La construction d’une luxueuse église à Annecy en 1645 (qui s’impose dans le paysage) contribua aussi à la notoriété du Saint et de l’Ordre à Annecy. Sans parler de la dynastie des "de Sales" comme évêques de Genève jusqu'en 1660 qui favorisèrent les membres de la Visitation et s'occupèrent de la béatification puis la canonisation du Saint. Les "de Sales" sont aussi de puissants seigneurs comme en témoigne le château de Thorens et leur hôtel édifié à Annecy entre 1688 et 1690. Ils ont tout intérêt à amplifier la notoriété du déjà plus célèbre membre de leur famille. Sa canonisation qui arriva entre 1661 et 1665 n'est finalement que l'aboutissement de ce travail. Le duc de Savoie et le nouvel évêque de Genève ne pourront pas freiner cette ascension. 

Hôtel de Sales à Annecy construit par la famille homonyme entre 1688 et 1690 (photo E. Coux)

Hôtel de Sales à Annecy construit par la famille homonyme entre 1688 et 1690 (photo E. Coux)

Ils ne peuvent qu'essayer de récupérer cette notoriété en l'associant à celle du Saint dynastique Amédée IX qui lui a plus de difficulté à s'imposer. Déjà, Sébastien Valfrè, le confesseur oratorien du duc de Savoie était appelé à célébrer personnellement en 1694 à la fête du sacré cœur à la Visitation de Turin.

 

L’arrivée des Visitandines près de la cour royale se fera en utilisant un triste évènement. Les visitandines vont profiter de la douleur du nouveau roi de Sicile en 1715 suite à la mort de son fils et héritier, Victor Philippe, en lui disant que deux sœurs de cet Ordre l’avaient prophétisé ainsi que le destin royal de son deuxième fils, le futur Charles Emmanuel III. Ainsi, elle légitimait ce deuxième fils mal aimé du duc. Charles Emmanuel III avait été malgré tout choisi par les instances divines pour succéder à Victor Amédée II et cela avait été révélé par les Visitandines qui devinrent donc très précieuses pour le nouveau souverain.

 

Cette révélation avait été possible car l’Ordre de la Visitation était un Ordre puissant surtout en France. Il était aussi implanté et reconnu à Rome. De plus, le contexte politique suite au traité d’Utrecht en 1713 avait établi de nouvelles relations courtoises avec la France. Le duc avait désormais aussi besoin de l’appui du roi de France pour conserver la Sicile. Pour les religieuses, la vieillesse du roi de France leur faisaient chercher de nouveaux appuis. De plus, le couvent d'Annecy avait acquis une certaine supériorité dans l'Ordre grâce au travail de la famille de Sales et surtout involontairement grâce à la supérieur Françoise-Madeleine de Chaugy. Elle en avait pris la direction en même temps qu'elle devait prendre en main l'Ordre entier, à un moment critique, pendant la succession de Jeanne de Chantal. Elle avait dû montrer sa légitimité en se situant dans la lignée de Saint François de Sales et Jeanne de Chantal. Elle avait dû aussi avoir l'appui du clan des de Sales  Cette importance d'Annecy avait remis l'Ordre du moins symboliquement dans un l'orbite du duché de Savoie.

 

Après 1730, nous retrouvons Saint François de Sales dans un autel latérale de la nouvelle église royale de Turin de Saint Philippe Neri, où François de Sales trouve une place parmi le panthéon dévotionnel dynastique de la maison de Savoie. Il est ainsi associé à Saint Charles Borromée. Cette association se retrouva aussi à Vicoforte et sur la façade de l'église jumelle Saint Charles de Turin construite à partir de 1832. Ce n'est donc pas un hasard qu'une nouvelle façade est construite en 1726 pour l'église de la Visitation de Chambéry. Cette façade est une des trois façades baroques de la ville avec la Sainte Chapelle et l'église des Jésuites.  

Retable XIX e siècle de style néo-gothique dans la cathédrale de Genève-Annecy dédié à Saint François de Sales et Sainte Jeanne de Chantal

Retable XIX e siècle de style néo-gothique dans la cathédrale de Genève-Annecy dédié à Saint François de Sales et Sainte Jeanne de Chantal

Évidemment et enfin, dans un deuxième temps, l’annexion de la Savoie à la France va valoriser l’image de Saint François de Sales qui bien avant 1860 a su relier la France et la Savoie à la fois dans le mariage entre le duc de Savoie Victor Amédée 1er et la fille d’Henri IV, mais aussi dans le succès français de la Visitation. En décembre 1859, la veille de l'annexion, Don Bosco fonda à Turin, la congrégation des "Salésiens" en hommage à Saint François de Sales.

 

L'image de Saint François de Sale portait donc en elle l'alliance de la Maison de Savoie et de la France. Déjà en 1802, la cathédrale de Chambéry avait été mise sous le vocable de Saint François de Sales. Le diocèse de Chambéry renaissait sous les hospices de la France napoléonienne grâce au concordat de 1801 (La cathédrale avait été lors de la fondation du diocèse en 1779, sous le vocable de la vierge et de béat Amédée IX). Le succès du culte de Saint François de Sales, qui été élevé au rang de docteur de l'église en 1877, allait surtout se concrétiser par l'érection de nouvelles églises et de deux grandes basiliques.

 

A Turin, les salésiens guidés par la figure charismatique de Saint Jean Bosco construiront un grand sanctuaire dédié à Sainte Marie Auxiliatrice entre 1865 et 1868 sur un site qui lui a été indiqué en songe dès 1844. C'est une des plus grandes église de cette ville.

 

Dans le Chablais, nous avons celle de Thonon qui a été commencée en 1889 ne fut consacrée qu'en 1930. Ce retard était surtout dû à la fois au manque d'argent, mais aussi à l'opposition de la population qui voulait conserver leur ancienne église sous le vocable de Saint Hyppolite. Un compromis permit de sauvegarder cette église.   

 

La plus impressionnante des basiliques est celle d'Annecy, construite entre 1911 et 1930. Elle domine de façon impressionnante le paysage Annecien. Elle est même plus visible que le château pourtant emblématique de cette ville. Dans le Piémont, c'est celle du sanctuaire de Colle Don Bosco dans la province d'Asti. Ce complexe monumentale a été élevé par les salésiens entre 1961 et 1984. 

 

La foi salésienne est aussi réactivée vers la fin du XX e siècle. En 1986, le pape Jean Paul II, dans un périple de Lyon à Annecy, visitait le Paray-le-Monial et la basilique de la Visitation à Annecy faisant de fait, le lien entre ces deux édifices, le lien entre Saint François de Sales et le Sacré coeur. En 1993, l'église de Thonon reçoit le titre de Basilique mineur. 

 

Emmanuel Coux

La basilique de la visitation construite entre 1911 et 1930 et consacrée en 1949. Cette basilique a été réalisée surtout par l'important mouvement salésien.

La basilique de la visitation construite entre 1911 et 1930 et consacrée en 1949. Cette basilique a été réalisée surtout par l'important mouvement salésien.

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