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Flanerie-historique-dans-l-ancien-duche-de-Savoie.over-blog.com

Les articles proposent une flanerie historique dans les anciennes terres des ducs de Savoie, c'est à dire l'Ain actuel, les départements de Savoie et de haute Savoie, les Alpes Maritimes, le Piémont et la Suisse romande. L'objectif est de faire coincider l'histoire et le patrimoine existant

L’acquisition de la basse vallée de Suse par la Maison de Savoie

L’acquisition de la basse vallée de Suse par la Maison de Savoie

Si la basse vallée de Suse n’est pas un des berceaux de la dynastie savoyarde, elle est néanmoins rapidement devenue une entité stratégique pour son développement, notamment dans son rôle de portier des Alpes, car la basse vallée de Suse contrôle les accès à la fois du col du Mont-Cenis, mais aussi du col du Montgenèvre.

 

Une des idées communément admises est que la Maison de Savoie acquit la vallée de Suse lors du mariage d’Odon, second fils d’Humbert aux blanches mains et d’Adélaïde de Suse. Nous allons voir que cette acquisition sera à la fois plus tardive, mais aussi plus difficile à obtenir. C’est aussi l’occasion de revoir certains mythes sur l’histoire de la Savoie pour qu’ils ne nous gênent pas dans la compréhension de notre propos.

 

Enfin, nous prolongerons notre recherche pour comprendre les mécanismes qui ont permis à la Maison de Savoie de conquérir puis se maintenir dans la basse vallée de Suse entre la fin du XIe et le début du XIII siècle.

vue de la vallée de Suse de la Sacra di San Michele à Giaglione

vue de la vallée de Suse de la Sacra di San Michele à Giaglione

1 - les mythes

 

Avant d’entrer dans le vif du sujet et afin d’avoir les mêmes postula de départ, il est intéressant de faire le point sur quelques mythes historiographiques concernant la Maison de Savoie mais aussi le col du Mont-Cenis.

 

Un des mythes les plus importants puisqu’on le trouve aussi sur les dépliants touristiques, est celui d’une origine mauriennaise de la Maison de Savoie. Les comtes de Savoie n’auront pas le titre de Comte de Maurienne avant 1146 (si nous rejetons un diplôme de 1125 qui est probablement faux). Ce titre apparaît donc bien après la résolution de l’héritage d’Adélaïde de Suse.

 

Avant cette date, les humbertiens (nom donné aux premiers membres de la Maison de Savoie) sont simplement définis comme comtes (sans honneur particulier). Ils sont comtes dans le Royaume de Bourgogne. Nous trouvons seulement un titre de comte des belleysans dans quelques chartes du milieu du XIe siècle ; titre qu’ils semblent perdre à cause de l’application de la réforme grégorienne à la fin du XIe siècle.

 

Un autre mythe doit être évoqué, c’est l’importance du passage du col Mont-Cenis depuis les origines ou depuis Charlemagne. Si Charlemagne a bien aménagé ce col, et si Charles le Chauve semble bien l’avoir pris, le Mont-Cenis reste un passage mineur et local dans l’arc alpin jusqu’au milieu du XIIe siècle, voir même jusqu’au XIIIe siècle. Le col important au débouché de la vallée de Suse depuis l’époque romaine, voir pré-romaine est le col du Montgenèvre.

 

Il y a donc un lien clair entre l’essor du trafic sur le col du Mont-Cenis et la Maurienne et l’acquisition de la vallée de Suse par la Maison de Savoie.

 

Mon-Cenis : hameau de Grand-Croix et vue sur le fort de Varicelle

Mon-Cenis : hameau de Grand-Croix et vue sur le fort de Varicelle

2 - le mariage entre Oddon et Adélaïde et l’héritage Arduinide

 

 

Le mariage d’Odon et d’Adélaïde de Suse vers 1046 est présenté dans l’historiographie savoyarde et italienne comme un des premiers accroissements notables de la Maison de Savoie, et surtout comme le premier pas dans les terres qui deviendront en 1860 italiennes (mise à part le Val d’Aoste).

 

L’opportunité était en effet intéressante puisque Adélaïde de Suse hérita de tous les biens des Marquis de Turin, un héritage énorme comprenant les vallées de Suse et du Cluson, une grande partie du diocèse de Turin avec les Comtés de Turin et d’Auriate, le Comté d’Albenga, avec probablement les Comtés de Bredulo, d’Alba et de Vintimille.

 

Les Arduinides (le nom de familles des parents d’Adélaïde de Suse) avaient en outre réussit à s’emparer d’Ivrée en 1015 et à mettre un des leurs sur le siège épiscopal d’Asti entre 1008 et 1036. Ce fut probablement un des prétextes pour Adélaïde de s’emparer des droits comtaux sur cette ville en 1066.

 

Malgré ce mariage et à rebours de ce que dit l’historiographie, la Maison de Savoie va rapidement perdre cet héritage. Déjà, Oddon ne fut qu’un marquis consort et Adélaïde garda le pouvoir très longtemps, jusqu’en 1091. De plus, elle gouverna plutôt comme une Arduinide que comme une humbertienne. Et elle transmit son héritage à sa petite fille, Agnès et aux enfants de sa petite fille, les comtes de Montbéliard, et non à son petit fils mâle, Humbert II, fils d’Amédée II et neveu de Pierre 1er. Agnès était la fille de son fils aîné Pierre 1er.

 

Adélaïde de Suse, portrait imaginaire du XVIII siècle (Venaria reale)

Adélaïde de Suse, portrait imaginaire du XVIII siècle (Venaria reale)

Mais, à la mort de la Marquise, en 1091, Conrad, le fils de l’Empereur Henri IV revendiqua l’héritage. Il était lui-aussi le petit fils d’Adélaïde par sa mère, Berthe. En 1093, alors qu’il devenait roi d’Italie, il fit main basse sur le Marquisat au dépend de la Maison de Montbéliard, jusqu’à sa déposition en 1098.

 

En 1098, profitant des troubles liées à la fin de règne de Conrad, que le fils d’Amédée II (de Savoie), Humbert II tenta sa chance outre Alpes avec une expédition qui le guida à Oulx, Pignerol et Asti. C’est probablement à cette période que la Maison de Savoie réussit à s’imposer dans la basse vallée de Suse, non pas pour revendiquer l’héritage arduinide, mais sous prétexte d’aider l’évêque de Maurienne qui lui revendiquait cette vallée.

 

L’avancée des humbertiens (nom aussi donnée à la Maison de Savoie) resta probablement limitée puisque Humbert II disparut en 1102, et que son fils Amédée III fut mineur jusqu’en 1108/09. D’autre part, le frère de Conrad, Henri V (qui deviendra empereur) prit la place de son frère à la tête du Marquisat de Turin. À ces difficultés, se rajouta l’opposition entre la Maison de Savoie et l’Empereur au niveau du Pape. Puisque en 1105, l’empereur ne reconnut pas l’élection du Pape Pascal II et favorisa l’élection d’un Pape concurrent, Sylvestre IV.

 

Il est même probable que la Maison de Savoie ne s’affirmasse dans la vallée de Suse qu’après le concordat de Worm en 1122 entre le Pape et l’Empereur. Rappelons qu’Amédée III était le neveu du Pape Calixte II (1119-11124). Nous voyons notamment en 1123, le Pape accorder la Vallée de Suse à l’évêque de Maurienne.

 

 

Ensuite, les évènements s’enchaînèrent. L’arrivée d’une nouvelle dynastie impériale en 1125 qui n’avait pas comme ancêtre Adélaïde de Suse, celle des Supplimbourg, permis au comte Amédée III (de Savoie) de revendiquer pour la première fois l’héritage arduinide d’Adélaïde de Suse. Amédée III conquit même Turin de 1131 à 1136 et se para du titre de « comes Taurinensis » avant de se replier dans la basse vallée de Suse.

 

le clocher au premier plan est celui de Sainte Marie, et celui au deuxième plan est celui de Saint Juste de Suse

le clocher au premier plan est celui de Sainte Marie, et celui au deuxième plan est celui de Saint Juste de Suse

3 - la basse vallée de Suse, une possession fragile

 

Si la conquête de Turin sembla possible à Amédée III, c’est qu’ en 1128, un concurrent à l’empereur Lothaire de Supplimbourg, Conrad Hohenstauffen fut élevé au titre de roi des romain à Nuremberg. Ce qui provoqua une guerre civile entre les partisans de Lothaire et les partisans de Conrad. Il pensait probablement aussi avoir l’appui de la Maison d’Albon. Amédée III s’était en effet marié avec une membre de cette famille vers 1120/1125.

 

Mais en 1136, l’évêque de Turin se plaignit à la diète de Roncaglia auprès de l’empereur Lothaire Ce dernier fit immédiatement route vers Turin par Pavie et Verceil. Et il prit cette ville. Malgré le décès de Lothaire de Supplimbourg en 1137, ce qui mit fin à la guerre civile, Amédée III n’était plus en mesure de se reconquérir à Turin.

 

C’est même probablement pour limiter les pertes que le comte Amédée III fonda un bourg neuf à Avigliana en 1139 pour y placer la population des villages voisins de Folonia et Monte Pezzulano afin de renforcer militairement la place (Avigliana se trouve à l’entrée de la basse vallée de Suse). Mais la fondation semble ne s’être réalisée qu’en 1189. Ce qui montre en réalité la difficulté du comte de Maurienne à s’y maintenir.

 

Il faut probablement mettre dans cette déroute, le refroidissement des relations avec le comte d’Albon qui tourneront à la guerre, probablement déjà avant 1140, date où son beau frère trouve la mort en assiégeant Montmélian. Les comtes d’Albon semblaient aussi avoir pris appui de manière importante dans la Haute Vallée de Suse, et notamment auprès de la collégiale d’Oulx, ce qui compliqua l’action de la Maison de Savoie.

vestiges de la collégiale Saint Laurent d'Oulx dans la Haute Vallée de Suse

vestiges de la collégiale Saint Laurent d'Oulx dans la Haute Vallée de Suse

Le neveu de Conrad III, l’Empereur Frédéric 1er Honhnstauffen se montra lui-aussi un opposant à la Maison de Savoie et donc un allié à l’évêque de Turin (les empereurs considéraient les évêques comme des représentants régionaux du pouvoir royal). Cependant, même si en 1155, l’Empereur est victorieux sur les villes d’Asti et de Chieri qu’il réussit à conquérir, il ne semble pas s’en prendre directement à la vallée de Suse. Son action se limita à accorder un atelier monétaire au comte d’Albon dans la localité de Cézanne, au pied du col du Montgenèvre, de façon probablement à concurrencer celui de Suse. Ce qui montre de manière indirecte, que les humbertiens étaient implantés solidement dans cette ville.

 

La lutte va ensuite prendre un tournant sur un plan de plus en plus religieux. En 1158, le pape Adrien IV reconnaît aux chanoines d’Oulx la possession de l’église San Pietro et de la pieve Sainte Marie d’Avigliana (une pieve est une église paroissiale importante). La prévôté d’Oulx était un instrument de l’évêque de Turin pour contrôler la vallée de Suse. De cet évènement découla le fait qu’en 1159, l’évêque de Turin obtint de l’Empereur Frédéric 1er la possession du château, du peuple et du district d’Avigliana.

 

Les comtes de Maurienne trouvèrent d’abord la parade à travers la « domus helemosinaria », en gros l’hôpital de Suse géré par la Pieve collégiale de Santa Maria de Suse (cette pieve contrôlait presque toutes les églises de la basse vallée de Suse). La difficulté, c’est que cette entité était depuis 1144, sous la juridiction de la prévôté d’Oulx, représentante des intérêts de l’évêque de Turin et de plus en plus des Comtes d’Albon. Mais c’est probablement le schisme entre février 1160 et 1177, provoqué par la double élection de 1159, qui donna une légitimité au comte de Savoie pour s’opposer à l’évêque de Turin et à la collégiale d’Oulx. L’évêque de Turin n’enleva pas Avigliana au comte de Maurienne.

la pieve Sainte Marie majeure à Avigliana

la pieve Sainte Marie majeure à Avigliana

L’opposition religieuse entre les Papes trouva un échos militaire. En 1168 l’empereur est battu par les communes (notamment Chieri et Asti) et il doit se retirer dans le Royaume de Bourgogne. Nous pouvons considérer le siège de Suse en 1174 (où l’empereur brûla la ville comme barouf d’honneur et un épiphénomène). De même pour le siège d’Avigliana par le nouvel Empereur Henri VI Hohenstauffen en 1185 (c’est peut être après ce siège que le bourg est probablement reconstruit et repeuplé). Remarquons que c’est juste après ces dates que ces empereurs donneront le titre de prince aux évêques de Belley et de Tarentaise pour contrarier le comte de Savoie (c'est aussi à cette première date que l'on peut situer l’épisode de Saint Anthelme de Chignin à Belley).

 

4 - Thomas 1er, un processus d’affirmation lié aux entités religieuses locales.

 

Mais le nouveau comte de Savoie Thomas (1189-1233), grâce à son tuteur, le marquis de Montferrat, desserra l’étau impérial. Probablement qu’il abandonna du moins dans un premier temps ses visées sur Turin. Puis peut être qu’il joua aussi sur l’opposition entre la Maison Hohenstauffen et Othon de Brunswick pour le trône impérial. Mais surtout, il allait réunir un cocktail puissant d’entités religieuses destiné à renforcer sa mainmise sur la vallée de Suse et contrer l’opposition de l’évêque de Turin, du Dauphin et de la prévôté d’Oulx.

 

château de Caprie appartenant aux moines de Saint Juste de Suse

château de Caprie appartenant aux moines de Saint Juste de Suse

Ce résultat était probablement aussi un travail de longue haleine. La Maison de Savoie avait réussi à placer des moines de son choix dans les principales entités monastiques autours de Suse, c’est à dire l’abbaye Saint Juste, le prieuré de la Novalaise, et la collégiale du Mont-Cenis. Un moine allait symboliser cela, Jacques des échelles, ancien prieur de Coise. Il allait être à la tête de ces trois entités.

 

Ce puissant conglomérat monastique permit aussi de faciliter le trafic par le col du Mont-Cenis en ouvrant avec l’aide ou la proposition du comte de Savoie un passage par le Grand Mont-Cenis. Il permit aussi d’étendre l’influence savoyarde. En 1205, l’église San Pietro d’Avigliana a été concédée aux chanoines du Mont-Cenis. L’abbaye Saint Juste étendit aussi son réseau d’influence. En 1212, elle prit sous sa dépendance l’église de Vigone dans la plaine pignerolaise. Elle était aussi maîtresse du château dont on voit encore les ruines monumentales près de Caprie dans la basse vallée de Suse.

 

Le comte de Savoie allait aussi importer des Ordres monastiques qu’il allait placer aux endroits délicats de la vallée. Tout d’abord les chartreux, avec la chartreuse de Loze qu’il place au dessus de Gravere, un lieu contesté qui deviendra la frontière entre la Savoie et le Dauphiné. Cette action semblait destiner à fermer les ambitions du Dauphin et de la prévôté d’Oulx.

 

De l’autre côté de la basse vallée, à son débouché, il place des cisterciennes à Brione (entre Caselette et san Gillio, au dessus de Pianezza). Un lieu où il souhaite au contraire s’étendre. Et il va surtout s’allier avec la puissante abbaye de Saint Michel de la Cluse.

 

église romane de Brione

église romane de Brione

Cette affirmation dans la vallée de Suse se fera aussi grâce à des peuplements. Déjà une immigration de clercs, de guerriers et de nobles venant d’outre Alpes. Puis dans la constitution de villes fortififées. C’est probablement sous son autorité que le bourg des nobles qui s’est constitué au cours du XIIe siècle se pare d’un mur en 1199. Thomas 1er fonda aussi en 1226, une villeneuve à San Giorio au centre de la basse vallée.

 

Sources : 

Pour écrire cet article, je me suis surtout inspiré des travaux de l'historien Luca Patria dont ceux publiés dans la revue "Segusium", n°47, 48 et 49, des travaux de l'historien Laurent Ripart, et notamment a thèse, ainsi que d'articles plus généraux.  

maison forte de San Giorio

maison forte de San Giorio

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