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Flanerie-historique-dans-l-ancien-duche-de-Savoie.over-blog.com

Les articles proposent une flanerie historique dans les anciennes terres des ducs de Savoie, c'est à dire l'Ain actuel, les départements de Savoie et de haute Savoie, les Alpes Maritimes, le Piémont et la Suisse romande. L'objectif est de faire coincider l'histoire et le patrimoine existant

Les changements sociétaux liés aux épidémies, la peste de 1348 et le Coronavirus en 2020

Les changements sociétaux liés aux épidémies, la peste de 1348 et le Coronavirus en 2020

Une récente émission de radio soulevait avec pertinence le rôle des épidémies dans les changements sociétaux. L’arrivée de ce coronavirus, avec le confinement forcé de la population et un grand ralentissement des échanges et de l’activité économique, ramène ces questions sur la table. Cependant pouvons-nous dire que ce bouleversement ponctuel risque de changer de manière durable notre société ? Pour répondre à cette question, penchons-nous sur les précédentes épidémies et notamment sur la peste de 1348 qui a été l’épidémie la plus grave que l’Europe a connue dans ces derniers 1000 ans.

 

Cette épidémie fut une des plus brutales de notre histoire puisque non seulement elle détruisit entre un tiers et la moitié de la population en Europe, mais ses répliques empêchèrent toute remontée démographique jusqu’à la fin du XV e siècle.

 

Nous allons d’abord voir quelles ont été les conséquences de cette peste sur la démographie de l’Europe et de l’espace savoyard, dans un temps immédiat, mais aussi à plus long terme. Nous nous interrogerons ensuite sur le contexte de l’arrivée de cette peste et la situation de l’Europe au XIV e siècle, en essayant de séparer les faits de ce qui a été surinterprété par l’historiographie. Enfin, nous essayerons d’en déduire les changements sociétaux provoqués par cette peste.

Chapelle Saint Sébastien à Lanslevillard dont les peintures ont été faites dans le contexte de la peste

Chapelle Saint Sébastien à Lanslevillard dont les peintures ont été faites dans le contexte de la peste

1- les conséquences démographiques de la peste et de ses répliques

La chute brutale de population qu’a provoqué l’épidémie de peste de 1348 est tellement importante qu’elle provoque chez les historiens une sorte de césure dans le bas-moyen-âge (1000-1492). La population européenne va à cette époque chuter d’un coup, d’à peu près un tiers de sa population.

C’est énorme. Pour vous donner une échelle avec le coronavirus, ce dernier à un taux de contagion d’environ 1 personne sur 3, et tue 1 personne sur 100 qui sont contaminées environ. Cela fait un taux de mortalité de la population inférieur à 3/1000. Pour la peste de 1348, ce taux aurait été entre 1/4 et 1/3.

 

Prenons quelques exemples : Savigliano est une ville dans le Sud du Piémont qui appartenait aux seigneurs de Savoie-Achaïe. Il y avait 1320 feux (familles) en 1332, avant la peste de 1348 et 777 en 1378, soit une disparition de 41 % de sa population.

 

A Chieri, qui était une des plus grandes villes du Piémont, il y avait, en 1327, 2126 contributeurs (familles qui payaient des impôts). En 1437, il n’y en a plus que 999, soit une disparition de plus de la moitié des habitants de la ville. Asti, sa voisine, va passer de 10 000 habitants en 1300 environ, à 5 000 habitants en 1400 environ.

 

Lausanne, qui dépasse les 9 000 habitants au XIII e siècle, a probablement bien moins de 5 000 habitants au XV e siècle. Elle ne dépassera le seuil des 5 000 habitants seulement en 1650.

 

ville médiévale de Savigliano

ville médiévale de Savigliano

La ville de Nice est aussi un exemple impressionnant. Avec environ 13 500 habitants en 1340, elle n’en a plus que 5 000 en 1388 au moment de son rattachement avec le comté de Savoie. C’est encore plus impressionnant pour la ville voisine de Grasse qui passe de 6 500 habitants en 1323 à 1300 habitants en 1451. Il y a des tas d’autres exemples notamment pour les grandes villes européennes qui ont bien documentés. Comme celui spectaculaire et connu de Florence qui passe de 110 000 habitants à 37 000. Florence ne retrouvera ce niveau de population qu’en 1860. Il y a aussi celui de Palerme qui passe de 50 000 à 20 000 personnes. D’autres villes résistent mieux comme Gênes qui passe de 60 000 à 50 000 personnes seulement, ou Venise de 110 000 à 85 000 personnes.

 

Une des explications de cette diminution du nombre d’habitants des villes est peut-être leur fuite devant ce fléau. Cela a très probablement existé surtout pour les plus riches qui avaient des biens dans la campagne, mais aussi pour les immigrés de fraîche date qui avaient encore de la famille dans leurs villages.

 

Mais une fuite se passe sur le court terme. Les chiffres sont désespérément bas sur le long terme, même sur le très long terme (centaine d’années). Les villages ont eux-mêmes été décimés comme le montre le nombre important de village à avoir disparu pendant cette période dans l’actuel département des Alpes Maritimes . Je cite pour exemple les villages de Mont-Olive près de Villefranche-sur-mer et celui de Vieil-Aspremont, mais il y en a des dizaines d’autres. La disparition de villages se remarque aussi dans toute l’Europe.

La ville de Nice avait perdue les 3/4 de sa population entre le milieu du XIVe siècle et le XV e siècle.

La ville de Nice avait perdue les 3/4 de sa population entre le milieu du XIVe siècle et le XV e siècle.

La démographie, loin de remonter après le premier épisode de grande peste, c’est à dire l’année 1348, continue à baisser, et même sur le long terme puisque la baisse continue jusqu’à la fin du XV e siècle. Une des raisons les plus importantes sont les retours incessants de cette peste qui continuent de décimer les populations.

 

Si nous reprenons nos exemples précédents, Savigliano perd encore de la population au XV e siècle. Si elle remonte de 777 feux à 835 entre 1378 et 1389, elle redescend à 637 feux en 1419 pour remonter péniblement à 792 feux en 1462. Pour Chieri, on passe de 999 contributeurs en 1437 à 977 en 1466. La ville de Cuneo passe de 861 feux en 1388, à 649 feux en 1415, et il faut attendre 1440 pour voir une légère remontée de sa population.

 

Turin où on commence à avoir des données après 1348, il y a 717 contributeurs en 1363, 723 en 1391-1393, 625 en 1415, 631 en 1428. Nous assistons ensuite à une remontée avec 720 contributeurs en 1445, 891 en 1464, 1056 en 1488, et 1312 en 1503. L’explication de cette remontée est le rôle de plus en plus central de la ville dans le Piémont au niveau administratif, puisque le duc Louis en 1436 transfère dans la ville l’administration qui était auparavant à Pignerol. Et en 1437, la ville récupère son université.

Saint Roch (au centre) fut un des Saints anti-pesteux invoqués sà la fin du moyen-âge (stalles de Bourg-en-Bresse)

Saint Roch (au centre) fut un des Saints anti-pesteux invoqués sà la fin du moyen-âge (stalles de Bourg-en-Bresse)

Pour Nice, la diminution est encore plus spectaculaire puisque la ville passe de 5000 habitants en 1388 à 3500 habitants en 1421. Elle a donc perdu entre 1323 et 1421, environ 75 % de sa population.

 

Nous pouvons aussi déduire la population avant 1348 dans certaines villes en multipliant la population postérieure à 1348 par 1,5 quand nous connaissons le nombre d’habitants proche de cette date et par 2 quand nous avons des données plutôt au XV e siècle. Nous voyons cependant que ce calcul est aléatoire puisqu’une ville comme Nice par exemple a perdu plus de la moitié de sa population.

 

Néanmoins cela peut nous donner un aperçu de la population des villes de Chambéry, Genève ou Turin. L’archiviste Louis Binz avait fait une étude assez poussée sur la population de Genève. En 1356, elle aurait eu selon lui 2259 personnes, puis trois ans après, elle perd des habitants jusqu’à 2047 personnes. Par contre, ensuite la population remonte rapidement. En 1371, il y avait 2594 personnes, et 3004 en 1377. Avec des coefficients de 1,5 à 2, Genève aurait pu avoir entre 3000 et 4000 personnes au début du XIV e siècle.

Tour de l'île qui était le siège de la chatellenie savoyarde de Genève

Tour de l'île qui était le siège de la chatellenie savoyarde de Genève

De ce fait, ce nombre nous permet de comprendre l’enjeu de cette ville sous Pierre II qui y favorise ou fonde les foires en 1262, qui contribue à la fondation du couvent des dominicains, et aussi l’enjeu sous le comte Amédée V qui s’empare de la ville et renforce de manière extraordinaire le château de l’île en 1287.

 

Ce calcul confirme la raison qui pousse certains à penser que la ville de Chambéry qui comptait au XV e siècle environ 3500/4000 personnes avait atteint au XIV e siècle, les 5000/6000 voire 7000 habitants. Ce calcul vaut aussi pour Turin qui devait aussi avoir 7000 personnes au XIII e siècle, et Pignerol, capitale des Savoie-Achaïe, qui devait avoir entre 7500 et 10 000 habitants.

 

2- Le contexte de l’arrivée de cette peste.

Avant toute chose, il faut aussi se mettre en tête que les conditions des hommes du moyen-âge étaient plus difficiles que celles des personnes du XXI e siècle (travail pénible pendant plus de 12 heures par jour, nourriture insuffisante, pas de douche ni d’eau courante, chauffage rudimentaire en hiver etc.), ce qui en faisait des gens plus fragiles que nous face aux épidémies.

 

L’historiographie, surtout française, va faire du XIV e siècle, un siècle noir. Et la tendance est d’amalgamer la guerre de cent ans, le Grand schisme et la peste noire afin de l’englober dans les raisons de la crise économique que connaît la France en ce siècle.

 

Il est important de reprendre ces évènements et de les échelonner dans le temps et l’espace pour voir leurs réelles influences entre eux et si la peste est bien la cause de tout cela ou bien la conséquence.

 

En tout premier lieu, nous remarquons que cette peste de 1348 est un évènement postérieur à la crise des foires de Champagne qui commence à la fin du XIII e siècle. C’est aussi un évènement postérieur au début de la guerre de cent ans qui commence en 1337. Donc on ne peut pas imputer cette peste comme cause à cette crise ou à cette guerre.

Saint Sébastien était un des Saints anti-pesteux les plus évoqués au XVe siècle (chapelle Saint Sébastien à Lanslevillard)

Saint Sébastien était un des Saints anti-pesteux les plus évoqués au XVe siècle (chapelle Saint Sébastien à Lanslevillard)

La crise du XIV e siècle est aussi un évènement assez complexe à comprendre puisqu’on y met tout. La crise économique elle-même est assez difficile à comprendre. Nous croyons qu’il faut séparer deux phénomènes de cette crise économique. La première, qui est la plus ancienne, est la crise des foires de champagne qui concerne surtout le gros commerce. Cette crise, qui va affecter surtout la France (ou la partie Est du royaume), mais aussi les pays sur la route des foires de Champagne comme le comté de Savoie, est à mettre sur le compte de l’amélioration de la navigation génoise. Les génois, déjà maîtres de la mer en Méditerranée, vont simplement se passer de faire transporter leurs denrées par voie de terre jusqu’aux Pays-Bas. Ils iront tout simplement en bateau.

 

La première et la deuxième décennie du XIV e siècle voient venir une autre crise qui est là, due à de mauvaises récoltes, et qui est plus grave puisqu’elle provoque des famines.

 

Nous avons un exemple avec la ville de Savigliano, qui passe avant la grande peste de 1348, de 1449 feux en 1323, à 1320 en 1332. Mais ce n’est pas valable partout puisque Chieri passe de 2057 contributeurs en 1311 à 2126 en 1327. Cependant, ces statistiques parlent des contributeurs fiscaux donc pas des pauvres qui ne paient pas l’impôt et qui sont ceux qui sont les plus fragiles aux cours des disettes.

Saint Sébastien avec l'épée et la flèche (stalles de Saint Jean de Maurienne 1498)

Saint Sébastien avec l'épée et la flèche (stalles de Saint Jean de Maurienne 1498)

Il se peut que cette crise se soit conjuguée avec la crise des foires de Champagne. Il faut néanmoins nuancer la crise des foires de Champagne avec une relance de l’activité grâce à l’installation des Papes en Avignon en 1309, et le décollage des foires de Chalon-sur-Saône dès 1280. Cependant ces foires n’atteindront jamais les dimensions des foires de Champagne.

 

La célèbre guerre de cent ans figure en bonne place pour nous expliquer les désordres de ce siècle. Mais cette guerre ne toucha que la France, l’Angleterre et la Flandre. Elle ne concerna pas la Savoie qui était en dehors de sa problématique, comme elle ne concerna pas les pays Italiens et germaniques, ni l’Aragon, sinon dans leurs marges et indirectement par l’emploi de compagnies de mercenaires pour résoudre des affaires locales.

 

Une autre guerre concerna par contre la Savoie et de Dauphiné depuis 1285. Elle toucha tous les territoires compris du Dauphiné au Pays de Vaud et au Valais. Mais cette guerre était presque finie en 1334 et définitivement en 1355.

 

Cette guerre delphino-savoyarde, qui s’était surtout faite au moyen de chevauchée, semblait avoir été assez éprouvante pour la population paysanne qui en paya le lourd tribut, pas forcément avec des tueries spectaculaires mais plus lentement en détruisant et volant systématiquement récolte et bétail. Combiné à des rendements médiocres et à des mauvaises récoltes vers 1310 et 1320, cela avait énormément affaibli la population qui a aussi été employée dans un intense effort de guerre (constructions de bâtis, de châteaux et d’autres ouvrages de défenses).

 

A cette constatation, il faudrait rajouter les effets produits par une surpopulation dans des territoires avec un rendement médiocre. Si les Alpes ont connu des défrichements constants du XI e au XIIIe siècle, qui ont aussi permis d’améliorer nettement la condition paysanne à la fin du XIII e siècle, la terre commença à manquer alors que la population croissait toujours. Si une partie des paysans immigrait vers les villes, la grosse majorité de ceux-ci, pour survivre, se mettait à défricher des terres trop hautes pour être viables ou trop médiocres pour être correctement productives. La population s’était donc fragilisée et cela explique en partie les dégâts de l’épidémie de 1348.

Le château des Allymes à Ambérieu-en-Bugey est un témoignage saisissant de la guerre delphino-savoyarde de 1285-1355

Le château des Allymes à Ambérieu-en-Bugey est un témoignage saisissant de la guerre delphino-savoyarde de 1285-1355

Si les conditions de guerres, de surpopulation et de mauvaises récoltes avaient renforcé cette fragilisation en 1348, ce n’était pourtant plus le cas 50 ans après où le comté de Savoie est en paix. La surpopulation a aussi été un problème qui a été résolu avec la mortalité de 1348 et donc, avec moins de conséquences au niveau de la productivité et une population mieux nourrie globalement qu’en 1348. Pourtant, le niveau de population baisse encore comme le montre les statistiques démographiques.

 

A ce constat, il faut rajouter que le problème de surpopulation constaté en Savoie à la fin du XIII e siècle ne se rencontra pas dans des régions comme l’île de de France qui avait une des terres les plus productives au monde, et pouvait supporter une population encore plus nombreuse. De même s’il y a eu une crise économique en France au XIV e siècle, ce sera plutôt l’inverse pour l’Europe centrale et orientale qui connaît une croissance économique , avec par exemple le développement spectaculaire de villes comme Prague.

 

De ce fait, il est difficile d’assigner des causes de cette peste au niveau européen tellement les évènements et les conditions de vie sont différents d’une région à l’autre. Les crises économiques comme les guerres ne sont pas non plus hégémoniques sur tout le territoire. Seules la peste et ses répliques ont été des évènements communs à toute l’Europe.

Le retable de Lagnieu est un témoignage de l'essor de l'Observance franciscaine (La vierge protectrice au manteau entre Saint Sébastien et Saint Bernadin de Sienne)

Le retable de Lagnieu est un témoignage de l'essor de l'Observance franciscaine (La vierge protectrice au manteau entre Saint Sébastien et Saint Bernadin de Sienne)

3- Les changements sociétaux :

Cette peste va amener plusieurs changements sociétaux :

 

- sur la productivité et la transformation des moyens de productions

La première interrogation pour les historiens a été de savoir comment ils ont fait pour maintenir la même productivité. En effet, passées les premières années de la peste noire, les contributions fiscales se restaurent petit à petit malgré un manque drastique de main d’œuvre.

 

Ce maintien a été dû grâce à la transformation d’une grande partie des terres agricoles en pâturages, donc du passage d’une grande partie des terres de la céréaliculture à l’élevage. L’élevage est bien plus rentable que la céréaliculture grâce à la vente de la viande, mais aussi à ses produits dérivés comme le lait, le fromage mais aussi le cuir ou la laine. Malheureusement, cette agriculture nécessite beaucoup de terres agricoles.

 

Au XIII e siècle, la volonté de faire de l’élevage plutôt que la céréaliculture engendrait de nombreuses tensions y compris dans les propriétés proches des villes comme l’a connu l’abbaye de Chiaravalle, proche de Milan. De nombreuses pressions leur enjoignaient de produire des céréales pour nourrir la nombreuse population pauvre de Milan (ce qui a aussi un effet de baisser le prix des céréales s’il y en a beaucoup). La production de viande et de lait, plus rentable, aurait donc eu comme effet de réduire le volume de céréale produite et d’en augmenter son prix.

 

De leur côté, les paysans pauvres au XIIIe siècle qui avaient des petites tenures ne se lançaient pas non plus dans l’élevage, privilégiant d’abord la céréaliculture. La surpopulation divisait aussi ces tenures au maximum et poussait à défricher des terres même dans des lieux inadéquats.

 

De ce fait, la baisse drastique de population suite à la peste noire allait ôter cette pression de produire absolument des céréales, vu qu’il y avait moins de monde à nourrir. La baisse de main-d’œuvre et sa cherté poussait aussi à l’élevage pour la gestion des grands domaines ou les nombreuses reprises de terres.

C'est une époque qui va multiplier les iconographies de l'enfer et promouvoir une vision manichéenne de la religion (fresques de Saint Sébastien à Lanslevillard)

C'est une époque qui va multiplier les iconographies de l'enfer et promouvoir une vision manichéenne de la religion (fresques de Saint Sébastien à Lanslevillard)

- sur la politique et la religion

Si nous regardons actuellement les nombreuses réactions irrationnelles de peurs face à un coronavirus 100 fois moins meurtrier que la peste noire de 1348, dans un monde où la science a réussi à expliquer ce phénomène, et où les pouvoirs publics assurent à la population une des protections les plus efficaces face aux épidémies, nous pouvons aisément comprendre la réaction des personnes au moyen-âge, qui n’avaient elles, aucune explication rationnelle et aucune protection.

 

Évidemment, ces gens se sont tournés vers la religion qui était la seule à leur donner au moins une explication et un placebo. Le manque de connaissances scientifiques attribuait cette maladie à Dieu comme un châtiment divin envers la société.

 

C’est peut-être pour cette raison que nous voyons s’officialiser à la fin du XIV e siècle les mouvements religieux les plus durs comme ceux de l’Observance ; mouvements qui avaient été auparavant condamnés par l’église comme les mouvements des franciscains spirituels ou fraticels (les spirituels comme les fraticels ont été des branches de l'Ordre franciscain) .

 

Et c’est probablement dans le cadre d’une surenchère de radicalisme religieux, liée au retour incessant de cette peste, qu’il faut tenter de comprendre l’arrivée du Grand Schisme (1378-1418) et des schismes suivants, autant celui de Bâle (1439-1449), que ceux de Luther (1517) ou de Calvin (1541). C’est aussi dans cette surenchère qu’il faut comprendre la brutalité de la religion avec la mise en place des chasses aux sorcières vers 1420/1430, à la suite d’un long processus qui a touché d’abord les hérétiques et les juifs.

Avignon fut un des sièges du Grand schisme, ce fut aussi une ville dynamique qui lança la prospérité de Genève

Avignon fut un des sièges du Grand schisme, ce fut aussi une ville dynamique qui lança la prospérité de Genève

- Localement sur le comté puis duché de Savoie. (Genève et la reprise économique).

Paradoxalement, c’est pendant cette période, post peste de 1348 que la Savoie va atteindre son apogée avec les règnes des comtes Amédée VI (1343-1383), Amédée VII (1383-1391) et Amédée VIII (1391-1451). Même si dans le lot, Amédée VI meurt de la peste en 1383.

 

Contrairement à l’historiographie générale qui déplore l’époque des schismes de l’église catholique, l’apogée de la Savoie est bien en rapport avec ces schismes. Le protagoniste du Grand-Schisme était même un savoyard puisque c’était Clément VII, Robert de Genève, un des fils du comte de Genevois. Une des autres figures fortes de ces schismes a été Félix V qui n’était autre qu’Amédée VIII, un des plus glorieux membres de la Maison de Savoie.

 

Le point de jonction des lieux où se sont déroulés les schismes d’Avignon et de Bâle est Genève. Genève allait devenir entre 1390 et 1451, un des centres majeurs de l’économie européenne et la monnaie de Savoie allait même être utilisée comme monnaie étalon dans une partie de l’Europe.

Duché de Savoie au temps de son apogée (carte E. Coux)

Duché de Savoie au temps de son apogée (carte E. Coux)

Jean-François Bergier et Louis Binz ont justement remarqué le paradoxe démographique de Genève qui, juste après la peste noire, regagne de la population pour passer de 2000 à 2500 personnes en 1371. Cette remontée ne s’arrêtera pas puisqu’en 1450, la ville atteindra même les 10 000 habitants.

 

La seule autre ville à augmenter sa population à cette époque est Thonon où la cour de Savoie s’est installée en 1371. L’augmentation de population de ces deux villes montre un lien entre elles, même s’il faut imputer une partie de l’augmentation de la population de Thonon à la présence de la cour ducale.

 

Cependant, là encore, il faut tenir compte pour le développement de Genève et de la région Rhône-Souabe, d’un mouvement dans lequel l’Ouest de l’Europe entrait en crise alors qu’émergeait économiquement l’Est de l’Europe : mouvement indépendant de la Grande Peste.

La pêche miraculeuse de Konrad Witz peinte en 1444 était une allégorie de la richesse et de la prospérité de Genève.

La pêche miraculeuse de Konrad Witz peinte en 1444 était une allégorie de la richesse et de la prospérité de Genève.

Conclusion :

L’épidémie de peste de 1348 a été un des évènements les plus brutaux du moyen-âge faisant disparaître entre 1/3 et la moitié de sa population. Les répliques de la grande peste de 1348 empêchèrent toutes reprises démographiques jusqu’à la fin du XV e siècle. La Savoie n’échappa pas à ce schéma sauf une ville, Genève, qui devient dans la première moitié du XV e siècle, un des centres économiques de l’Europe.

 

Le succès de Genève a bénéficié directement à la Maison de Savoie puisque c’est à cette époque que la Savoie entre dans son apogée. Ce succès semble avoir découlé des schismes religieux qui ont secoué l’Europe entre la fin du XIV e et le début du XV e siècle ; schismes qui eux-mêmes semblent avoir été aussi des sous-produits issus de la peste noire.

 

La peste noire a aussi amené à une transformation radicale de l’agriculture à cause du manque de main-d’œuvre, en développant l’élevage et ses produits dérivés (comme les fromages) au lieu d’une céréaliculture intensive.

 

L’épidémie actuelle de Coronavirus risque aussi d’amener une transformation de la société, afin de garder une certaine productivité même avec une population incapable de travailler, malade ou confinée.

 

Cette transformation se réalisera en développant et en optimisant les technologies existantes comme l’informatique et la robotique, de façon à remplacer l’homme dans le travail,

 

C’est une révolution culturelle ; puisque si nous éprouvions des remords à voir remplacer une caissière par un robot au supermarché, le fait d’avoir la possibilité ne pas contaminer une personne de plus, et de ne pas sacrifier cette personne, va nous faire accepter l’idée du robot de caisse.

 

Cela aura pour conséquence de transformer un chômage issu de la récession créé par l’arrêt brutal de l’économie, en un chômage de masse, structurel, sur le long terme. Avec comme corollaire la croissance des inégalités sociales et la paupérisation d’une classe moyenne déjà consciente de sa fragilité (gilets jaunes).

 

La question qui se pose est : est-ce que comme au XV e siècle, Genève et la Savoie auront un rôle à jouer dans l’économie européenne post-cornavirus ?

 

Texte écrit par Emmanuel Coux 2020

Je tiens à remercier Stéphanie Turpaud pour ses corrections.

Donateur priant Saint Sébastien (fresque de la chapelle de Lanslevillard)

Donateur priant Saint Sébastien (fresque de la chapelle de Lanslevillard)

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A
S'il y a là un peu de vérité dans ces histoires c'est que nous sommes complétement les sujets de manipulation et de lavage du cerveau. <br /> Réfléchissez et cherchez le chemin de la liberté.
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E
Merci pour toutes ces informations et de nous éclairer sur l'histoire de notre pays<br /> J'ai beaucoup apprécié
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