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Flanerie-historique-dans-l-ancien-duche-de-Savoie.over-blog.com

Les articles proposent une flanerie historique dans les anciennes terres des ducs de Savoie, c'est à dire l'Ain actuel, les départements de Savoie et de haute Savoie, les Alpes Maritimes, le Piémont et la Suisse romande. L'objectif est de faire coincider l'histoire et le patrimoine existant

Le château de Chamoux sur Gelon, un témoin des guerres d’Italie et de la renaissance en Savoie ?

châtelet d'entrée du château de Chamoux-sur-Gelon (photo E. Coux)

châtelet d'entrée du château de Chamoux-sur-Gelon (photo E. Coux)

La commune de Chamoux-sur-Gelon est très riche en patrimoine. Elle a notamment un ancien prieuré, plusieurs châteaux et maisons-fortes. Nous pouvons distinguer la maison forte de Villardizier, les ruines d’un ancien château au dessus de ce bourg, appelé le château-vieux ou château de Verdon et le château de Chamoux-sur-Gelon proprement dit que nous voyons encore dans le bourg. Ce dernier était peut être à l’origine une maison forte transformée ensuite en un palais par les seigneurs de Seyssel-la-Chambre.

 

Son portail d’entrée, une porte entourée de deux grosses tours rondes est assez exceptionnelle et assez rare dans l’ancien duché de Savoie. La maison-forte de Pelly sur la commune de Désigny est un des rares autres exemples en Savoie ayant ce type de configuration. Habituellement, nous trouvons plutôt une tour-porte comme à Avully dans la commune de Brenthonne. Même dans ce qui subsiste des anciens châteaux des familles de la Chambre et de Seyssel nous ne trouvons pas ce type de châtelet d’entrée. Que ce soit à château-joli à Sainte-Marie-de-Cuine, à Epierre ou à Notre-Dame-du-Cruet où le principe de la Tour-porte s’impose. Dans le château de la bâthie à Barby, nous avons deux types de Châtelets d’entrée cependant très différents de celui de Chamoux-sur-Gelon.

 

Nous tenterons donc d’expliquer l’origine du châtelet d’entrée du château de Chamoux-sur-Gelon en développant l’hypothèse selon laquelle ce châtelet a été construit non pas pour la défense, mais pour une esthétique de prestige afin de rappeler le prestigieux mariage de Jean de Seyssel-la-Chambre avec Barbe d’Amboise, en 1501. En effet, il ressemble beaucoup à l’entrée du château français de Chaumont-sur-Loire, château emblématique de la famille d’Amboise.

 

Si l’on suit cette hypothèse, la présence d’un tel élément architectural sur un château d’une des plus puissantes familles vassales des ducs de Savoie nous interroge. Cela nous amène à se poser des questions sur la politique intérieure et les rivalités internes du duché de Savoie pendant la période trouble des guerres d’Italie menées par la France. Période où la Savoie se trouve dans la fâcheuse situation d’être prise entre la France et le territoire convoité par la France (le Milanais) ; période qui finira par l’annexion pure et simple du duché de Savoie par la France en 1536.

 

Afin d’essayer d’étayer cette hypothèse, je reprendrai l’histoire de la famille des Seyssel-la-Chambre dans le contexte géopolitique de l’époque et je montrerai les intérêts qui rapprochaient cette famille de la couronne de France. Dans un deuxième temps, je m’attacherai plus à la famille de Barbe d’Amboise originaire d’une grande famille française, épouse de Jean de Seyssel-la-Chambre. Celle-ci semble être la principale habitante du château de Chamoux-sur-Gelon et l’instigatrice de ces éléments architecturaux. Enfin, je tenterai une comparaison entre les principaux châteaux de plaisance de cette époque qui ont un lien avec celui de Chamoux-sur-Gelon de façon à établir une chronologie.

Ensemble de bâtiment formant le "donjon" du château de Chamoux-sur-Gelon (photo E. Coux)

Ensemble de bâtiment formant le "donjon" du château de Chamoux-sur-Gelon (photo E. Coux)

1-Contexte historique, l’invasion milanaise par le roi de France Louis XII et le rôle de l’élite savoyarde.

 

Depuis la fin de la guerre de cent ans, la situation de la France s’est nettement améliorée. Les rois de France, victorieux, vont profiter de cette embellie qui est aussi une embellie économique pour projeter d’autres conquêtes. Ce sera la revendication du royaume de Naples en 1494 puis celle du duché de Milan en 1498.

 

Pour arriver à ses fins, le roi de France a besoin de traverser le duché de Savoie, duché qui va du lac de Neuchatel aux rives de la Méditerranée. Il doit pour cela soit s’allier au duc de Savoie. Le comte Louis de Seyssel-la Chambre va jouer un rôle essentiel dans les négations qui vont porter à l’alliance du roi de France avec le duc de Savoie en 1499.

 

 

la famille de Seyssel-la-Chambre, leader du parti en faveur du roi de France en Savoie

La famille de Seyssel-la-Chambre est une des familles seigneuriales les plus puissantes du duché de Savoie (à part celle du duc de Savoie bien-sûr). Elle était issue du mariage en 1425 de Jean, cadet de la puissante famille de Seyssel seigneur d’Aix-les-bains et de Marguerite de la Chambre. Grâce à la volonté d’Urbain de la Chambre, père de Marguerite, cette branche des Seyssel va hériter des biens et du nom de « La Chambre ». Elle héritera aussi des biens de la mère de Jean héritière des seigneurs de la Rochette en Val Gelon. De ce fait, cette branche cadette va rapidement prendre le leadership de la famille de Seyssel par sa richesse et sa puissance.

 

Leur fils, Aymon de Seyssel-la-Chambre va avoir droit en 1449 à une épouse prestigieuse, Marie de Savoie-Achaïe, une descendante de la branche de Savoie-Achaïe cousins des ducs de Savoie ce qui va renforcer leur poids politique.

 

Louis de Seyssel-la-Chambre, fils d’Aymon et de Marie de Savoie-Achaïe sera considéré de fait comme une sorte de chef de parti et leader de la noblesse, mais aussi comme une sorte de régent, fonction légitimée grâce à sa parenté avec le duc de Savoie. Sa puissance le portera notamment à contester la régence de la duchesse douairière Blanche de Monferrat et à se révolter contre elle en prenant le pouvoir en 1491. 

Château de la Rochette entièrement refait au XIX e siècle (photo E. Coux)

Château de la Rochette entièrement refait au XIX e siècle (photo E. Coux)

Évidemment, ce dernier fera aussi un mariage prestigieux avec Anne de la Tour d’Auvergne en 1487 (qui sera son deuxième mariage). Cette alliance va inclure les Seyssel-la-Chambre aux familles les plus influentes et puissantes du royaume de France. Le fils de Louis de Seyssel-la-Chambre, appelé lui-aussi Jean comme son arrière grand-père, se maria lui, en 1501, avec Barbe d’Amboise nièce du cardinal d’Amboise, ministre du roi de France Louis XII, qui a été à son époque, un des hommes les plus puissants d’Europe. La famille de Seyssel-la-Chambre sera alors à son apogée politique.

 

Les mariages des Seyssel-la-Chambre avec Anne de la Tour et Barbe d’Amboise montre de ce fait une alliance et une attirance vers le royaume de France. Déjà, Louis de Seyssel-La-Chambre semble être le chef du parti favorable au roi de France. Cette noblesse dont il faisait parti avait déjà eu le soutien du roi de france pour la rétablir dans ses droits et possessions en 1452/1454. La famille de Seyssel-la-Chambre avait pris part à une conjuration contre un des favoris de la duchesse Anne de Chypre. Afin de punir cet acte, le duc de Savoie en 1451 les bannit et confisqua leurs biens. Mais le roi pu faire pression sur le duc de Savoie. Les Seyssel-la Chambre purent bénéficier de cette mesure pour revenir et rentrer dans leurs biens. Mais cette pression était clairement une ingérence et affaiblissait le duché de Savoie.

 

Il faut situer cette opposition de la noblesse à son prince dans le cadre de sa perte d’influence et de pouvoir politique. Au XV e siècle, le duché de Savoie se transforme et devient de plus en plus urbain avec l’émergence des villes de Genève, Bourg-en-Bresse, Turin et Nice et surtout la montée en puissance du poids politique de leurs bourgeoisies au détriment de la vieille noblesse rurale. Dans le même temps, la Maison de Savoie renforça aussi son pouvoir souverain en affaiblissant cette vieille noblesse rurale.

 

Les tensions entre la noblesse et le duc de Savoie étaient aussi devenues très vives lorsque Blanche de Monferrat devint régente au nom de son fils Charles-Giovanni-Amédée en 1490. L’arrivée au pouvoir d’une femme était, dans une société d’hommes, considérée comme un moment de faiblesse. C’était une fenêtre qui s’ouvrait à la contestation et à la révolte. Cette duchesse représentait aussi l’apogée d’une alliance avec le Milanais commencée vers les années 1467-1470 avec le déplacement de la cour de Savoie dans la ville de Verceil et le mariage de Bonne de Savoie avec le duc de Milan en 1468 (pourtant voulue par le roi de france Louis XI).

 

Cette alliance faillit se conforter avec le mariage de Philibert 1er de Savoie avec Blanche-Marie Sforza en 1474.  Malheureusement la mort mystérieuse du duc de Savoie en 1482 mis fin à ce projet de mariage. Son frère Charles 1er sembla reprendre ce projet en 1485 en se mariant avec Blanche de Monferrat. Celle-ci était surtout la petite fille du duc de Milan et elle va se trouver ensuite à la tête du parti en faveur de Milan. Nous comprenons donc que la confrontation allait être inévitable en 1490 quand cette dernière devint régente.

 

Les liens de la famille de Seyssel-la Chambre avec la France étaient anciens. Ils héritaient aussi de l’histoire de la dynastie des « La Chambre ». Cette famille puissamment ancrée dans le bassin de la Chambre en Maurienne était attirée par le Dauphiné. Sa devise : « le très haut nous a fondé » nous indique sa volonté d’indépendance. Cette famille a essayé de jouer un jeu de bascule entre le comte de Savoie et le Dauphin. La proximité du bassin de la Chambre avec le col du Glandon qui mène au Dauphiné et quelques terres en Dauphiné comme Montbonnot faisaient craindre en effet à un revirement d’alliance. C’est pourquoi les comtes de Savoie essayèrent toujours de la maintenir assez proche de la cour.

 

Le roi de France, héritier du Dauphin, va de ce fait, voir tous les avantages à attirer une puissante famille savoyarde qui a aussi des attaches en Dauphiné. La famille de la Chambre contrôlait donc outre le bassin de la Chambre et les cols du Glandon et de la Madeleine, une partie du bassin du Val Gelon et le col du Cucheron entre la Maurienne et le Val Gelon et cela grâce au puissant château de l’Heuile (ou l’Huile) près de la Table.

 

Stratégiquement, une telle situation pouvait permettre pour un ennemi de la Savoie de bloquer les liaisons entre le Piémont et le reste de la Savoie en contrôlant les vallées de Maurienne et de Tarentaise par le col de la Madeleine et en favorisant un second accès par le Gelon et le col du Cucheron. 

Château de Château-Joli à Sainte-Marie de Cuines. (photo E. Coux)

Château de Château-Joli à Sainte-Marie de Cuines. (photo E. Coux)

La situation avait déjà été particulièrement épineuse entre les années 1330 et 1370, période où le Dauphiné va subir de nombreux changements institutionnels. L’arrivée au pouvoir du Dauphin Humbert II de la Tour du Pin va mettre cette principauté dans le camp impérialo-Angevin. C’est dans ces années que la famille de la Chambre se rapprochera énormément du Dauphin. En 1334, Jean II signera un traité d’alliance et de paix avec le Dauphin. Il fera son premier mariage avec la fille d’une famille dauphinoise, Alix de Miribel en 1336. En parallèle ses relations avec les Comtes Edouard et Aymon de Savoie sont très mauvaises. Il fera l’objet de plusieurs enquêtes entre 1326 et 1334.

 

Le mariage de Jean avec Agnès de Savoie Achaïe en 1343 est vu comme une réconciliation entre le seigneur de la Chambre et le comte de Savoie. C’est oublier que les Savoie-Achaïe sont à cette époque des alliés du Dauphin. Et que dans leur camp se trouve aussi par intermittence l’évêque de Maurienne et l’abbé de Saint Michel de la Cluses. Mais l’année 1343 est l’année de tous les changements car la clef de voûte de l’édifice impérialo-Angevin s’écroule avec la mort du roi Robert.

 

Humbert II qui perd son principal allié va chercher une porte de sortie en faisant une croisade en 1345 et finalement vend sa principauté en 1349. Dans le même temps, le pape contraindra la royauté de Naples à lui vendre la ville d’Avignon en 1348. En 1346, Jean de la Chambre avait déjà trouvé un moyen de se réconcilier avec son suzerain en l’aidant contre les prétentions du roi de France.

 

La fin des tensions entre le roi de France et le comte de Savoie va permettre à ce dernier d’entamer plusieurs guerres contre des Savoie-Achaïe très affaiblis.

 

Nous comprenons donc que la situation sur les marges du Dauphiné étaient tendus. Déjà au XIV e siècle, le comte de Savoie avait placé, à Arvillard, terre entre la Rochette et le Dauphiné, un homme de confiance, son frère bâtard. Ce qui donnera lieu à la dynastie des Savoie-Arvillard. L’héritage des biens de la famille de la Rochette près d’Allevard, un territoire proche de la frontière delphino-savoyarde va évidemment augmenter l'inquiétude du duc de Savoie.

Carte du duché de Savoie entre le royaume de France à Gauche et le duché de Milan, à droite, avant 1536.

Carte du duché de Savoie entre le royaume de France à Gauche et le duché de Milan, à droite, avant 1536.

Louis de Seyssel-la-Chambre

Mais plus encore, Louis de Seyssel-la-Chambre, par son influence politique pouvait retourner une situation en faveur du roi de France. C’est dans ce contexte que son père reçu du roi Louis XI, une pension annuelle de 1000 livres en 1465  et qu’il reçu du même roi, le 12 janvier 1479, une pension quatre fois supérieure à son père . Le contexte de 1479 , juste après la mort de la régente Yolande de Valois était plus tendu que celui de 1465 ce qui justifiait cette augmentation. Le duc de Savoie était encore jeune et pouvait suivre n’importe quelles influences.

 

Louis de Seyssel sera aussi pendant cette période nommé Lieutenant général de Savoie et gouvernera effectivement le duché jusqu’en 1482-83. Cependant la politique de Louis de Seyssel-la-Chambre ne sera curieusement pas toujours conforme aux attentes du roi de France puisque celui-ci fera enlever le jeune duc en partance vers la France pour le soustraire au roi. Ce qui n’empêchera pas celui-ci malgré tout d’être emmené en France et d’y mourir, à Lyon, en 1482. On ne connaît pas l’origine du désaccord entre Louis de Seyssel-la-Chambre et le roi de France. Un indice peut nous être donné sur le fait qu’avec Philibert 1er à Lyon, il y avait Amédée de Romagnano, fils de l’ancien chancelier Antoine de Romagnano et futur chancelier de Savoie (1495-1496), futur évêque de Mondovi (1497-1509), et futur soutien de Blanche de Monferrat .

 

Louis de Seyssel-la-Chambre reviendra sur le devant de la politique en 1489 au commencement de la régence de Blanche de Monferrat. Entre temps, en 1487, il s’était remarié avec Anne de la Tour d’Auvergne, ce qui est une alliance prestigieuse et ressemble à un retour en grâce auprès du roi de France. Est-ce que ce mariage entre dans une sorte de préparation de la croisade contre les Vaudois que Charles VIII mena en 1488 ? Cette croisade arriva à un moment où le vassal du roi de France, le marquis de Saluces était en pleine guerre contre le duc de Savoie et en passe de la perdre. Cette expédition ressembla à une affirmation de la souveraineté du roi de France sur les marges de son territoire en Dauphiné et à Saluces en face du duc de Savoie.

 

En 1490, Louis de Seyssel-la-Chambre sûrement avec le soutien du roi de France était assez puissant pour s’opposer à la nouvelle régente de Savoie, la duchesse Blanche de Monferrat. Dans les objets de contestation, celle-ci refusa la nomination de son cousin Charles de Seyssel sur le trône épiscopal de Genève et le remplaça par Antoine Champion déjà évêque de Mondovi et surtout Grand Chancelier de Savoie. Genève était une ville clef de la Savoie. Grâce à ses foires, elle était devenue la plus grande ville de la partie du duché de Savoie à l’Ouest des Alpes. Même si ses foires avait été surclassés par les foires de Lyon, Genève restait à cette époque un très important centre économique dans les échanges internationaux. 

retable de l'église de la rochette. le blason en haut à droite était celui des "la Tour d'Auvergne", la femme de Louis de Seyssel-le-Chambre (photo E. Coux)

retable de l'église de la rochette. le blason en haut à droite était celui des "la Tour d'Auvergne", la femme de Louis de Seyssel-le-Chambre (photo E. Coux)

La régente en appela à Philippe de Bresse qui affronta et battit le comte de la Chambre à Chancy près de Genève en 1491. Celui-ci a dû s’exiler en France. C’est encore grâce à la pression du roi de France Charles VIII que Louis de Seyssel-la-Chambre pu rentrer en Savoie en 1492 et récupérer ses biens. C’est qu’en 1494, Charles VIII a eu besoin de traverser la Savoie pour aller guerroyer dans le royaume de Naples et avait donc besoin d’alliés fidèles dans ce pays. C’est le début des guerres d’Italie qui dureront jusqu’en 1559. Louis de Seyssel-la-Chambre revint donc à cette époque sur le devant de la politique.

 

Ensuite, le changement rapide de souverains savoyards sembla le favoriser. Après Blanche de Montferrat, c’est au tour de Philippe sans terre de gouverner le duché en 1496 mais pour un an seulement : celui-ci sera ensuite remplacé par son fils Philibert II. En France, c’est Louis XII en 1498 qui remplaça Charles VIII qui s’était cogné à mort contre une porte trop basse. L’ambition du nouveau souverain français était d’annexer le duché de Milan.

 

 

Son rôle dans l’entrée de la Savoie dans l’alliance française pour l’invasion du Milanais.

Louis de Seyssel-la-Chambre va jouer son plus grand rôle dans le rapprochement du roi de France Louis XII avec le duc de Savoie entre 1498 et 1499. C’est lui qui va élaborer comme ambassadeur, le projet de traité de Chateau-Renaud, le 22 février 1499, qui non seulement laissait librement passer les armées françaises par le duché de Savoie pour envahir le milanais, mais aussi, faisait du duc de Savoie un allié militaire dans cette invasion contre le duc de Milan. Le représentant du roi de France dans cette négociation était le Cardinal Georges d’Amboise, un personnage important dans notre récit.

 

Le traité d’alliance entre la France et le duché de Savoie fut signé le 13 mai 1499 par le duc de Savoie Philibert II et les ambassadeurs français. Le roi de France le 11 juin à Paris, en présence du Cardinal d’Amboise, du maréchal de Gié, Pierre de Rohan et de l’ambassadeur de Savoie, Louis de Seyssel-la-Chambre jura et promit d’observer ce traité. Il comportait beaucoup de clauses et d’obligations. Parmi celles-ci, le roi de France devait verser des pensions assez importantes à certains seigneurs, dont aux seigneurs de Seyssel-la-Chambre et à Sébastien Ferrero (ou Ferrier) trésorier du duc de Savoie. Louis de Seyssel-la-Chambre n’avait pas oublié ses intérêts. Nous voyons encore le seigneur de la Chambre avec le Bâtard René de Savoie, demi-frère du duc de Savoie Philibert II rencontrer le roi de France à Lyon dans le but de lui faire signer une confirmation solennelle sur certains points du traité fin juillet 1499 /

Maison du "Grand Bâtard, René de Savoie" à Carignan (photo E. Coux)

Maison du "Grand Bâtard, René de Savoie" à Carignan (photo E. Coux)

La duchesse douairière Blanche de Monferrat se trouvait de nouveau dans une opposition politique face à Louis de Seyssel-la-Chambre et à son parti. Soutien des Sforza ducs de Milan, elle avait cherché à maintenir la neutralité de la Savoie et à faire interdire le passage aux armées du roi de France. Mais les négociations et la signature du traité furent maintenues secrètes jusqu’à mi-août 1499. Ni le duc de Milan, ni le parti en Savoie favorable à ce duc n’en furent au courant jusqu’à cette date.

 

Le 12 septembre 1499, Blanche de Monferrat perdit sa fille qui était sa plus précieux alliée. Sa fille Yolande-Louise de Savoie s’était en effet mariée avec son cousin Philibert II en 1496 et était ainsi devenue en 1497 duchesse de Savoie. Par son intermédiaire, Blanche de Monferrat avait repris officieusement le pouvoir en Savoie après l’avoir laissé un an aux mains de Philippe de Bresse (qui régna de 1496 à 1497). Sa mort d’ailleurs intervint un mois après l’entrée officielle de la Savoie dans l’alliance française contre Milan. A-t-elle été empoisonnée ? C’est très possible car cette mort priva le parti milanais en Savoie d’un précieux atout. Le pouvoir sera ensuite laissé presque exclusivement au grand bâtard, René de Savoie, partisan de l’alliance française. C’est donc peut être grâce à l’influence et aux réseaux de la duchesse douairière, que Philibert II se remaria en 1501 avec Marguerite d’Autriche et renoua avec une politique hostile à la France.

 

 

 

La famille d’Amboise et l’invasion du Milanais

Le fils de Louis de Seyssel-la-Chambre, Jean se maria en mars 1501 avec Barbe d’Amboise, nièce du cardinal d’Amboise ministre du roi de France Louis XII. C’était un mariage qui faisait un contrepoids politique à celui de Philibert II de Savoie avec Marguerite d’Autriche la même année. C’était surtout un mariage très prestigieux pour la famille des Seyssel-la-Chambre. .

Choeur de l'église des Carmes de la Rochette, reste de l'immense abbatiale construite par les Seyssel-la-Chambre pour devenir leur nécropole (photo E. Coux)

Choeur de l'église des Carmes de la Rochette, reste de l'immense abbatiale construite par les Seyssel-la-Chambre pour devenir leur nécropole (photo E. Coux)

Georges d’Amboise, oncle de Barbe était un personnage très puissant. Nommé archevêque de Rouen en 1494, soutien du duc d’Orléans, il devient son principal ministre quand celui-ci accède au trône en 1498. La même année, il est élevé par le Pape Alexandre VI au rang de cardinal, puis en 1503, de Légat à vie. Il devint en quelque sorte le chef de l’église en France. C’était donc à cette époque, le plus puissant personnage de l’état français.

 

Il fut très impliqué dans la conquête du duché de Milan, l’organisant même. C’était aussi un des premiers qui introduisit en France, le goût de la renaissance italienne. Il réussit ensuite à faire nommer son neveu, Charles d’Amboise, gouverneur du Milanais. En 1507, Jean de Seyssel-la-Chambre se battit à Gênes dans les armées du roi de France sous les ordres de Charles d’Amboise pour réprimer les génois révoltés.

 

Un autre personnage aura extrêmement profité de l’invasion française du duché de Milan : c’est Sébastien Ferrero (ou Ferrier) trésorier du duc de Savoie. A l’origine, c’est un homme proche de la duchesse douairière Blanche de Monferrat et des intérêts de Milan. Il était aussi devenu un des personnages clefs du duché de Savoie grâce à un important réseau d’appuis politiques qui en faisait un des hommes les plus puissants du duché de Savoie. D’opposant, il va devenir un des acteurs les plus importants de l’occupation française de Milan. Il en tira d’énormes bénéfices. Il décupla son réseau d’appui politique et devint encore plus riche et encore plus puissant. Les signes de sa puissance sont encore visibles aujourd’hui dans la ville d’origine de cette famille, à Bielle dans le Nord du Piémont, avec les palais Ferrero et Marmora et le monastère de Saint Sébastien. Ils sont surtout visibles avec la nomination de deux de ses fils, Jean-Stéphane et Boniface au rang de Cardinal (en 1500 pour le premier et 1517 pour le second).

 

Revenons à la politique du cardinal Georges d’Amboise. Celui-ci avait l’ambition de devenir pape. L’occasion allait venir avec la mort d’Alexandre VI le 12 août 1503. Mais malgré la menace des troupes françaises devant Rome, il ne fut pas élu. Lui et le parti adverse tombèrent d’accord pour élire une personne âgée et neutre, le pape Pie III dans l’espoir qu’un nouveau conclave se réunirait rapidement. C’est ce qui se passa. Mais le nouveau conclave élit le 19 octobre 1503, le candidat de la partie adverse, Julien della Rovere, Jules II, le neveu de Sixte IV. Jules II était donc l’ennemi personnel de Georges d’Amboise et va initier une politique anti-française. 

Abbaye de Brou à Bourg-en-Bresse construite par Marguerite d'Autriche (photo E. Coux)

Abbaye de Brou à Bourg-en-Bresse construite par Marguerite d'Autriche (photo E. Coux)

Marguerite d’Autriche, en édifiant Brou en 1505 qui est un monastère d’Ermites de Saint Augustin de la Congrégation Observante de Lombardie, marquera par là son soutien au pape Jules II et à sa politique. Elle avait perdue tout pouvoir politique à cause de la mort de son mari le duc de Savoie Philibert II, en 1504 et tenta, au travers de la construction de ce monastère, de se maintenir à flot le temps d’attendre des jours meilleurs ; ce qui arriva en 1506 avec sa nomination au gouvernement des Pays-Bas.

 

 

Le château de Chaumont-sur-Loire, demeure emblématique de la famille d’Amboise

La famille d’Amboise possédait le célèbre château de Chaumont-sur-Loire en France dans le département de Loire et Cher. Ce château fait partie d’un point de vue touristique et artistique du groupe des « châteaux de la Loire ». C’est d’ailleurs un des premiers châteaux en France de style renaissance.

 

Ce château possédé par la famille d’Amboise et emblématique de cette famille a tout d’abord été détruit par Louis XI qui voulait punir ceux qui avait participé à la ligue du bien publique. Cette destruction va amener à revoir son architecture. Il est en effet reconstruit par Pierre d’Amboise et son fils, Charles 1er d’Amboise en 1468, une fois le roi réconcilié avec cette famille. Puis, après une interruption, la reconstruction du château reprend en 1498. Elle est menée cette fois par Charles II d’Amboise, fils de Charles 1er aidé par le cardinal Georges d’Amboise. Celui-ci va introduire des éléments italianisants qui sont caractéristiques du style renaissance. 

château de Chaumont-sur-Loire (photo Wikipédia)

château de Chaumont-sur-Loire (photo Wikipédia)

Ce château possède une magnifique entrée qui donne toute sa majesté au château : un châtelet formée d’un bâtiment-porte entourée de deux larges tours rondes. Cette entrée est aussi curieusement placée dans un l’angle du château, cassant en quelque sorte cet angle. Ce serait notamment lors de la deuxième période de construction, entre 1498 et 1510 qu’a été construit cette entrée. Cette porte contient le souvenir du passage de Louis XII dans ce château en 1503. Une des tours a le blason du cardinal quand l’autre à le blason de Charles II d’Amboise ; blasons qui encadrent celui du roi de France.

 

Cette entrée, hautement symbolique, est très similaire à celle du château de Chamoux-sur-Gelon. Celle-ci est aussi placée entre deux larges tours circulaires et curieusement aussi placée dans un angles. Évidemment, la question est de savoir si il existe un lien entre les deux châteaux. Pour le savoir il faut comparer les minces indices que nous avons sur le château de Chamoux-sur-Gelon avec ceux de Chaumont-sur-Loire, mais ensuite élargir cette réflexion sur les autres châteaux et grandes demeures du royaume de France et du duché de Savoie.

 

 

 

 

2- Comparaison entre les constructions : le château de Chamoux dans la lignée des édifices renaissances de France.

La différence entre les entrées de Chamoux-sur-Gelon et Chaumont-sur-Loire sont les mâchicoulis et le chemin de ronde qui n’existe pas à Chamoux. Ceux-ci ont été construit seulement entre 1562 et 1566 par Diane de Poitiers alors propriétaire du château. De ce fait, pendant la première moitié du XVI e siècle, ces entrées devaient être encore plus similaires.

 

Mais revenons à Georges d’Amboise puisque c’est lui qui va en quelques sorte initier en France la politique de construction de châteaux ressemblant à des palais à l’italienne avec la reconstruction de la résidence d’été des archevêques de Rouen, le château de Gaillon dans la vallée de la Seine

Fresque représentant le château de Gaillon dans le château de Gaglianico (photo Wikipedia)

Fresque représentant le château de Gaillon dans le château de Gaglianico (photo Wikipedia)

Les travaux de Gaillon commencèrent en 1502 et se poursuivirent jusqu’en 1510. Ce château possède aussi un magnifique châtelet d’entrée construit par Georges d’Amboise qui se situe lui aussi dans un angle du château. Ce châtelet ou pavillon d’entrée structure le château dans le paysage. Nous pouvons là aussi faire un parallèle avec Chamoux-sur-Gelon bien que les tours encadrant la porte soit plus fines que celles de Chaumont-sur-Loire et Chamoux-sur-Gelon. Cependant, il y avait, à l’avant de ce pavillon d’entrée, au delà du pont levis, une autre porte entourée de deux grosses tours, avant porte qui fait penser au châtelet d’entrée de Chamoux-sur-Gelon.

 

 

Le châtelet d’entrée, un élément de prestige au XVI e siècle

Les châtelets d’entrée ne sont pas une invention du XVI e siècle. Il suffit pour cela de voir le château du Mont-Andeon près d’Avignon pour s’en rendre compte. Néanmoins, il semble qu’il faille voir un regain de ces entrées pendant la renaissance comme nous le montre plusieurs châteaux prestigieux.

 

C’est tout d’abord le château de Carrouges situé dans le département de l’Orne en Normandie avec un châtelet d’entrée proche du style de celui de Gaillon. Celui-ci est positionné aussi dans un angle ce qui donne un plan général du château très proche de la configuration du château de Chamoux-sur-Gelon. Le château de Carrouges était passé par héritage à Jean Le Veneur, évêque-comte de Lisieux, un homme très proche de François 1er qui devient cardinal en 1533 pendant la même promotion que Philippe de Seyssel-la-Chambre, fils de Louis.

 

C’est cet évêque que fera construire le châtelet d’entrée de ce château que l’on date du début du XVIe siècle et qui est un des premiers témoins de l’architecture renaissance en Normandie avec le château de Gaillon. L’écusson sur l’entrée du Châtelet ne porte pas d’arme cardinalice ce qui nous donne une indication pour sa construction, c’est à dire avant l’année 1533. 

châtelet du château de Carrouges.

châtelet du château de Carrouges.

Nous pouvons aussi signaler les châteaux qui ont été rebâti par Pierre de Royan, le célèbre Maréchal de Gié au début du XVI e siècle comme Mortiercrolle, Seiche-sur-le-Loire et la Motte Glain. Leurs châtelets d’entrée qui datent de cette époque, sont assez caractéristiques de la renaissance. Le marechal de Gié (1451-1513) était un des principales collaborateurs du roi de France après le cardinal d’Amboise. Nous pouvons donc constater que ce type de châtelet d’entrée semblait donc être à la mode dans les châteaux des plus proches collaborateurs du roi de France .

 

Cette mode semble ensuite se propager assez tard vers le reste de la noblesse comme on le voit dans quelques exemples postérieurs aux châteaux de Gaillon, Carrouges et Mortiercrolles. Nous avons par exemple le château de Saint-Germain-sur-Livet dans le Calvados où le châtelet d’entrée est construit vers 1560-1580 , le château de Valençay où le pavillon d’entrée est construit vers 1580, et le château de Montesson en Mayenne où le seigneur est autorisé à construire un châtelet qu’à partir de 1586 .

 

Un autre château peut avoir influencé les châteaux de Gaillon et Chamoux-sur-Gelon, le château ducal de Vigevano en Lomelline (Lombardie). Ce château est une des grandes résidences des ducs de Milan. Il est formé d’un vaste donjon central à trois ailes, dans une immense cour irrégulière. Le château ne comporte qu’une véritable tour, celle de l’entrée, appelée « tour de Bramante ». C’est Luchino Visconti au début du XIVe siècle qui commença à transformer le vieux château de Vigevano en une demeure de plaisance. Cette transformation se fit grâce à l’édification d’une nouvelle fortification remplaçant le vieux château dans cette fonction sur les marges de la ville. Cette transformation toucha essentiellement le Donjon qui était un ensemble formé de corps de logis autours d’une cour carrée. Le quatrième côté de cet ensemble a été détruit au début du XIX e siècle. Ce qui donne au donjon la configuration d’un « U » vu d’en haut, exactement comme le « donjon » du château de Chamoux-sur-Gelon. Les ducs suivant continueront les travaux entreprit par Luchino Visconti.

entrée du château de Mortiercrolles (photo W ikipedia)

entrée du château de Mortiercrolles (photo W ikipedia)

Mais c’est le duc Ludovic le More va finir de transformer ce château féodal urbain en une résidence de plaisance en recommençant des travaux à partir de 1488. Il va notamment s’occuper de la construction de la Tour de Bramante (c’est Bramante qui s’occupera de la réalisation de cette tour haute de 55 m) qui est non seulement la plus haute tour du château mais est aussi sa tour-porte d’entrée. En cela elle peut être considérée comme un véritable châtelet d’entrée dans la première cour du château (avant d’entrer dans la cour du donjon). Sa grandeur et son aspect en font un véritable élément architectural dominant à la fois le château mais aussi la ville  .

 

La position de cette entrée dans le plan de l’enceinte extérieur est aussi véritablement similaire à celle de Chamoux-sur-Gelon. Elle est située elle-aussi dans une sorte d’angle. De plus, au niveau de l’urbanisme, la tour d’entrée de Vigevano donne presque directement sur la place principale de la ville où se trouve aussi l’église principale de la ville. Cette place monumentales, projetée en 1489, construite à partir de 1492 par Ludovic le More est inaugurée en 1494 pour l’arrivée du roi Charles VIII dans la cité. Cette place est véritablement conçue pour être une antichambre au château. La tour Bramante est faite pour être visible de cette place et la surplomber. C’est véritablement l’interface entre la ville et le château et un élément important dans un parcours cérémoniel qui part de la place et finit au donjon  

 

Cette tour fait donc partie de la parure monumentale de la ville contrairement au donjon qui est caché de la ville. Ce schéma se retrouve aussi se retrouve aussi à Chamoux-sur-Gelon où les deux tours du châtelet d’entrée font partie d’une sorte de parure monumentale avec l’église prieurale du village.

 

Le duc de Milan va s’ installer dans ce château avec sa cour dès 1491 jusqu’en 1493. Puis, le château devint la résidence de sa femme, Béatrice d’Este qui y entreprendra elle-aussi des travaux dans sa chambre et dans le jardin jusqu’en 1495 environ. Ce château est donc un modèle pour la cour de France, ses alliés et ses vassaux. Il n’est donc pas incohérent que les Seyssel-la-Chambre en ait voulu reproduire le principe pour leur château de Chamoux.

 

Ces châtelets font partie comme le dit Flaminia Bardati pour le château de Gaillon, d’un élément de départ à un parcours cérémoniale qui va à la « Grande cour » (du donjon). 

reconstitution du château de Vigevano avec sa place. Nous voyons bien le donjon avec sa cour rectangulaire et a grande tour de l'entrée ainsi que la place ducale.

reconstitution du château de Vigevano avec sa place. Nous voyons bien le donjon avec sa cour rectangulaire et a grande tour de l'entrée ainsi que la place ducale.

Les châteaux de Gaillon, de Gaglianico et d’ Issogne

La résidence de Gaillon est reproduite sur une fresque de la chapelle du château de Gaglianico près de Bielle (dans le Piémont en Italie actuelle) qui a été la résidence du neveu de Georges d’Amboise, Charles II d’Amboise. Cette résidence était donc connue par l’entourage de Charles II d’Amboise dans le Piémont. Gaglianico était la propriété de Sébastien Ferrero ancien trésorier du duc de Savoie et homme de confiance de la duchesse douairière Blanche de Monferrat qui était passé au service de Louis XII. Sébastien Ferrero l’acheta en 1479 et le posséda jusqu’à sa mort en 1519.

 

Pendant cette période, il fit reconstruire intégralement ce château qui est un des plus beau du Biellois, confiant cette reconstruction justement à Charles II d’Amboise. Cette fresque peut nous suggérer que le château de Gaillon ait pu servir de modèle ou aurait été le modèle idéal pour reconstruire Gaglianico. Cependant le château semble cependant avoir subit des modifications pour résister à la guerre entre 1536 et 1559, puis d’autres peut être, et des dégradations après 1559, car son propriétaire était dans le camp pro-français qui était perdant après 1559. De ce fait, certains éléments sont peut être moins lisibles pour la période qui nous intéresse comme le châtelet qui a été intégré à une enceinte bastionnée.

 

Le donjon du château de Gaglianico est formé d’un quadrilatère autour d’une cour avec quatre tours hétérogènes aux angles et une tour porte. Une des tours des angles est plus haute que les autres et fait figure de tour maîtresse. L’aspect du château est encore très médiéval avec des tours et des créneaux. Le château a en outre des fossés et a aussi une autre enceinte extérieure refaite au XVI e siècle pour résister à l’artillerie qui enferme les communs que l’on voit actuellement devant le château. Le côté renaissance est donné par la loggia de la cour intérieur en terra-cotte.

 

Ce château avait été possédé au XIV e siècle par la puissante famille des Challant, une des plus puissantes familles du Val d’Aoste. Il est intéressant d’évoquer cette famille puisqu’elle est proche à cette époque de la famille des Seyssel-la-Chambre grâce au mariage en 1477, de Louis de Challant avec Marguerite de Seyssel-la-Chambre, sœur de Louis de Seyssel-la-Chambre. De plus, leur fille, Francesca (ou Françoise) de Challant se maria en 1500 avec le fils de Sébastien Ferrero, Andrea. Ce qui nous intéresse est que Louis de Challant est propriétaire d’un des châteaux les plus emblématiques de la vallée d’Aoste, le château d’Issogne.

détail de la cour intéreieur du château d'Issogne en Val d'Aoste (photo E. Coux)

détail de la cour intéreieur du château d'Issogne en Val d'Aoste (photo E. Coux)

Entre 1480 et 1509, le château d’Issogne dans la vallée d’Aoste va être en grande partie transformé en palais renaissance sous la direction de Georges de Challant, un cousin de Louis de Challant et un ecclésiastique très cultivé, à l’origine de nombreuses œuvres d’art dans la vallée. Il est intéressant de faire un parallèle entre Georges d’Amboise et Georges de Challant. Outre leurs prénoms identiques, ils vont être de véritables mécènes éclairés pour leurs patries respectives (la France pour l’un et le Val d’Aoste pour l’autre).

 

Le château d’Issogne est assez prestigieux pour héberger en 1494 le roi de France Charles VIII. C‘est comme le château de Gaglianico, un ancien château-fort, ou plutôt une ancienne maison forte. Il conserve donc un aspect assez médiéval avec ses tours. Mais sa cour intérieure est ornée d’une magnifique loggia, le château contient de très belles fresques et de magnifiques fenêtres à meneaux s’ouvrent sur l’extérieur et sur la cour intérieure.

 

Cette rapide escapade dans le biellois et dans le Val Aoste nous permet de situer le château de Chamoux-sur-Gelon dans leurs lignées, c’est à dire, un ancien château fort ou plutôt une ancienne maison forte transformée en palais. Comme à Issogne, à Gaglianico, et même à Vigevano (dont nous avons évoqué la tour-porte), l’habitation principale du château devait être un donjon formé d’un quadrilatère autour d’une cour (le quatrième côté ayant été détruit) qui était entouré d’un fossé. Une seconde enceinte devait entourer les communs comme à Gaglianico et Vigevano, et servir de première cour.

Donjon du château de Chamoux sur Gelon. Ce donjon en "U" devait être à l'origine fermé par un quatrième côté et protégé par un fossé, comme le pour le château de Vigevano.

Donjon du château de Chamoux sur Gelon. Ce donjon en "U" devait être à l'origine fermé par un quatrième côté et protégé par un fossé, comme le pour le château de Vigevano.

Le château de Chamoux-sur-Gelon, une ancienne maison-forte

Le château de Chamoux-sur-Gelon fut probablement un héritage de la famille de la Rochette. Nous devons cependant rétablir la modestie du château de Chamoux-sur Gelon au moyen-âge. Ce n’était pas le château principal du village mais une simple maison-forte. D’ailleurs sa position pour la défense n’est pas optimum. Chamoux-sur-Gelon avait son principal château fort au dessus de la bourgade dans un position nettement plus avantageuse. C’est les ruines de  Chateau-Vieux ou Château de Verdon.

 

L’actuel château de Chamoux-sur-Gelon, en contrebas, a donc été à l’origine une simple maison-forte transformée pour être une résidence luxueuse. Il n’était pas conçu pour résister à un gros siège et c’est sûrement pour ça qu’il a été épargné par Lesdiguère au XVII e siècle, au contraire du château de la Rochette qui fut totalement détruit. Nous pouvons donc aussi ranger ce château dans le même ordre que les châteaux de la Loire qui sont devenus des châteaux de plaisance et des palais.

 

Une rapide énumération des habitations principales des Seyssel-la-Chambre va nous donner ensuite les indices pour avoir une période de reconstruction. Cette famille a possédé de nombreux châteaux hérités à la fois des « La Chambre », mais aussi des « de la Rochette » ou d’autres familles. Nous citerons en Maurienne les châteaux du Cruet à la Chambre et de Bois-Joli à Sainte Marie-de-Cuine, châteaux qui sont actuellement en ruines, la maison forte au centre de la Chambre et le château d’Epierre. Nous citerons aussi les châteaux de Sainte Hélène-des-Millières, de l’Heuille, de Chateauneuf, de Chamoux-sur-Gelon, de Meillonas en Bresse et enfin celui de la Rochette.

 

C’est le premier Seyssel-la-Chambre, Jean de Seyssel qui va probablement faire du château de la Rochette la résidence principale de la famille. Son attachement pour cette ville se manifeste aussi dans la rénovation du couvent des Carmes de cette ville dès 1466 qui devient ensuite le mausolée de la famille des Seyssel-la-Chambre . Il se situe ainsi dans la continuité de la famille de la Rochette. C’est là que naissent son fils Aymon de Seyssel-la-Chambre puis ensuite son petit fils Louis qui feront aussi de la Rochette aussi leur résidence principale .

 

L’importance de la Rochette semble diminuer sous Jean II de Seyssel-la Chambre au profit du château de Chamoux-sur-Gelon. Nous le voyons dans ce château, rembourser un prêt. Barbe d’Amboise, sa femme semble aussi l’affectionner particulièrement. Il devient quasiment son château personnel. En effet, nous voyons que, selon le testament du 09 novembre 1528, son mari lui donne l’usufruit de ce château.

 

L’importance de Chamoux-sur-Gelon à cette époque se remarque avec la fondation de la collégiale Saint Anne dans l’enceinte du château en 1515 par Louis de Seyssel-la-Chambre. Selon le premier cadastre du XVIII e siècle, elle était située dans la cour du château entre le châtelet d’entrée et le «donjon- Corps de Logis central ». Cette collégiale sous le vocable de Sainte-Marie et Sainte-Anne remplaçait peut être une chapelle castrale primitive. En tous cas, cette collégiale de modeste dimension (environ 200m²) semble être une chapelle castrale de luxe pour rehausser le prestige du château et de la famille. Elle comprend un doyen et six chanoines

Prieuré de Chamoux-sur-Gelon devant l'entrée du château. Il ne reste plus rien de la collégiale Saint Anne (photo E. Coux)

Prieuré de Chamoux-sur-Gelon devant l'entrée du château. Il ne reste plus rien de la collégiale Saint Anne (photo E. Coux)

La collégiale de Chamoux et les fondations de collégiales au début du XVI e siècle

C’est la deuxième collégiale fondée par la famille de Seyssel-la-Chambre après celle de Saint Marcel à la Chambre fondé aussi en 1515 qui remplaçait un vieux prieuré dépendant de Saint-Michel-de-la-Cluses. Par contre la collégiale Saint-Anne de Chamoux ne remplace pas le prieuré Saint-Martin de cette ville qui dépendait de l’abbaye de Saint-Rambert-en-Bugey. Ce prieuré semble avoir été dans l’église paroissiale actuelle de la ville en face du portail du château de Chamoux et il se maintient jusqu’au XVIII e siècle.

 

Nous pouvons aussi nous interroger sur la fondation la même année de la collégiale de Meximieux (Meximieux qui est actuellement dans l’Ain faisait partie du duché de Savoie), ville qui est le fief de la branche cadette des Seyssel-la-Chambre, baron de Meximieux. L’élévation de la collégiale dans cette ville paraît avoir été faite en l’honneur de cette famille.

 

De même il est aussi important de signaler la collégiale d’Aix-les-bains qui était très proche du château de la branche aînée des Seyssel (actuelle mairie de la ville). Cette collégiale a été érigée en 1513 à la place d’un ancien prieuré dépendant du monastère de Saint-Martin-du-Miséré. Cependant, elle ne montrait pas seulement l’importance de la famille, mais aussi celle de la ville, ancien « Vicus » romain et ancienne villa royale du temps des rodolphiens.

 

La collégiale de Chamoux-sur-Gelon semble péricliter déjà au début du XVIIe siècle ce qui peut montrer qu’elle a été surtout soutenue que par Barbe d’Amboise. Elle s’y fait enterrer à sa mort en 1574 ce qui est un indice supplémentaire. Elle est d’ailleurs la seule de sa famille a s’y faire enterrer complètement. Deux ans après, le duc de Savoie reprend cette collégiale en main et oblige le doyen et les chanoines à lui prêter hommage. Cet acte assez surprenant montre le caractère « politique » de cette collégiale. 

Collégiale d'Aix-les-Bains aujourd'hui détruite.

Collégiale d'Aix-les-Bains aujourd'hui détruite.

Cette collégiale rappelle là encore, un château de la famille d’Amboise : le château d’été des archevêques de Rouen à Gaillon. Dans ce château, le cardinal Georges d’Amboise reconstruisit la chapelle castrale entre 1504 et 1510 et fonda dans cette chapelle en 1510, une collégiale. Cette édifice était divisé en une chapelle basse d’assez modestes dimensions (qui existe toujours) et une chapelle haute avec des proportions bien plus grandes puisqu’elle faisait plus de 15 mètres de haut, 17 mètres de long pour 10 mètres de large (cette partie a été détruite).

 

L’édifice était donc un ensemble assez important qui a impressionné les contemporains d’autant plus que des artistes célèbres semblent y avoir travaillé comme Michel Collombe qui était à la même époque chargé de construire le tombeau du duc de Savoie Philibert II pour Brou. Cette chapelle a été très bien reproduite dans la fresque qui représente Gaillon dans le château de Gaglianico. C’est cet édifice qu’a sûrement voulu reproduire Barbe d’Amboise pour rappeler qu’elle était la nièce de Georges d’Amboise.

 

Nous pouvons nous demander quel a été la hauteur de la collégiale de Chamoux-sur-Gelon, ce qui conditionne sa monumentalité. La surface de la chapelle de Gaillon étant sensiblement la même que celle de Chamoux-sur-Gelon (environ 200 m² pourChamoux-sur Gelon). 

chapelle du château de Gaillon (détruite)

chapelle du château de Gaillon (détruite)

La fondation de collégiale là aussi peut participer à un effet de mode. Dans le Piémont, Sébastien Ferrero (ou Ferrier) possédait aussi le château de Benna près de Biella qu’il fit reconstruire dans le style renaissance avec une galerie et une loggia. Il fonda, en 1508, près de ce village, en relation avec le château, la collégiale Saint Jean et Saint Sébastien à la place d’un vieux prieuré clunisien. Son mécénat ne s’arrêta pas là : il reconstruit l’église paroissiale de Benna et il fonda aussi, à Biella, l’impressionnant monastère de Chanoines réguliers de Latran, Saint Sébastien, qui est le deuxième édifice religieux de la ville par son importance (après la collégiale devenue cathédrale en 1772 Saint Stéphane). Sébastien Ferrero sera un des importateurs de la renaissance dans le biellois.

 

Dans le canton de Neuchâtel, Claude d’Aarberg fait construire en 1498, dans la ville (village) de Valangin une somptueuse église qui obtiendra le rang de collégiale en 1505. Cette église était destinée à remplacer l’église d’Engollon comme centre religieux de la seigneurie de Valangin et à devenir la nouvelle nécropole de ces seigneurs. En effet, il y avait dans l’église d’Engollon une chapelle aujourd’hui détruite qui servit de mausolée à cette famille au cours du XIV e et du XV e siècle. Les travaux de la collégiale semblent finit en 1523 puisque c’est cette date qui est mise en avant sur la plaque commémorative de l’enfeu de Claude d’Aarberg et de sa femme Guillemette de Vergy.

 

Cette collégiale devait être connue en Savoie puisque en 1517, c’est René de Challant, fils de Philibert qui hérite de la seigneurie de Valangin. Celui-ci était en effet le petit fils de Claude d’Aarberg. Grâce à cet héritage, René de Challant avait eu le titre prestigieux de comte souverain avec le rang de « Prince », titre tenu par les Aarberg. Son père, Philibert de Challant s’était marié avec Louise d’Aarberg le 02 février 1502. Louis de Seyssel-la Chambre est donc le grand oncle de René de Challant.

 

Cette collégiale est cependant hors du périmètre du château et même de la ville de Valangin puisqu’elle a été construite devant l’entrée de cette ville. De sorte que cette dernière est encadrée par la collégiale et le château.

 

En France, le château de Carrouges que nous avons vu avait aussi une chapelle dite « castrale » qui a été élevée ensuite, en 1492, en collégiale, ce qui renforce la comparaison de ce château avec celui de Chamoux-sur-Gelon. Cette collégiale se situe cependant en dehors du périmètre du château. C’est aujourd’hui la maison du Parc naturel régional de Normandie.

 

La fondation de collégiales dans les chapelles castrales rappelle évidemment l’actuelle Sainte Chapelle du château de Chambéry qui a été élevée en collégiale en 1467. La translation des reliques du Saint Suaire vers cette chapelle en 1502 lui donna une aura de sainteté, d’où son nom. Il faudra néanmoins l’autorité du pape Jules II en 1506 pour faire respecter cet état de fait et que le Saint Suaire ne parte pas ailleurs. En 1515, c’est la consécration puisque cette chapelle est élevée au rang de cathédrale. Cette élévation fait suite à celles manquées de 1474 accordée par Sixte IV à Yolande de Valois et supprimée par la volonté du roi de France Louis XI et par d'autres. Cette chapelle doit sa monumentalité à son élévation, renforcée du fait qu’elle se situe au sommet de la muraille du château. Sa surface au sol étant assez modeste.

 

La Sainte Chapelle de Chambéry ramène à la construction de la Sainte Chapelle de Vincennes à Paris entreprise en 1379 et achevée en 1554 donc contemporaine à la chapelle de Chamoux-sur-Gelon. Cette chapelle royale étant elle aussi située entre l’entrée et le « donjon » du château. Cette période semble être aussi une époque de promotion des Sainte Chapelles. Entre 1500 et 1520, les Bourbon vont pouvoir enfin donner le titre de Sainte Chapelle à l’immense chapelle castrale de Riom construite par Jean de Berry entre 1395 et 1403. leur première action ayant été de doter cette chapelle castrale d’un chapitre collégiale en 1489/90 .

Sainte -Chapelle de Chambéry (photo E. Coux)

Sainte -Chapelle de Chambéry (photo E. Coux)

La Sainte Chapelle de Chambéry ramène à la construction de la Sainte Chapelle de Vincennes à Paris entreprise en 1379 et achevée en 1554 donc contemporaine à la chapelle de Chamoux-sur-Gelon. Cette chapelle royale étant elle aussi située entre l’entrée et le « donjon » du château. Cette période semble être aussi une époque de promotion des Sainte Chapelles. Entre 1500 et 1520, les Bourbon vont pouvoir enfin donner le titre de Sainte Chapelle à l’immense chapelle castrale de Riom construite par Jean de Berry entre 1395 et 1403. leur première action ayant été de doter cette chapelle castrale d’un chapitre collégiale en 1489/90 .

 

C’est aussi dans cet espace de temps, entre 1505 et 1543 qu’est construite la Sainte chapelle de Champigny-sur-Veude en Touraine par Louis II de Bourbon duc de Montpensier. Celui-ci revenant de la première guerre d’Italie décide de transformer son château en résidence à l’italienne. Il eut l’autorisation par le pape Alexandre VI de fonder une collégiale en 1499. Les statuts de la collégiale furent écrit en 1507. Les dimensions de cette chapelle sont de 25 m de long pour 9 m de large, ce qui fait 225 m² environ, à peu près les dimensions de celle de Chamoux-sur-Gelon.

 

En 1505 est reconstruite la chapelle castrale de Vic-le-Comte dans le château des anciens comtes d’Auvergne par Anne de la Tour d’Auvergne et son mari Jean Stuart duc d’Albany et régent d’Écosse, sur le modèle de la Sainte Chapelle de Riom. Anne de la Tour d’Auvergne était la cousine de Jean de la Chambre et Jean Stuart était son frère Utérin puisqu’il était le fils du premier mariage de la mère de Jean de la Chambre, Anne de la Tour d’Auvergne avec Alexandre Stuart. 

Abside de la Sainte-Chapelle de Vic-le-Comte, ancienne "capitale comtale d'Auvergne".

Abside de la Sainte-Chapelle de Vic-le-Comte, ancienne "capitale comtale d'Auvergne".

Cette chapelle a été érigé en collégiale en 1520, date où le gros œuvre semble finit puisqu’on pose les verrières entre 1520 et 1525. Il ne reste malheureusement plus rien du château comtal si ce n’est une tour-porte d’entrée. Au XIX e siècle, cette chapelle a été agrandi pour devenir l’église paroissiale de la ville. Nous avons donc là un modèle très fort et très proche pour les seigneurs de Seyssel-la-Chambre. D'autant plus que certains membres de cette famille, comme le cardinal Philippe se reconnaîtront plus comme les "La Tour d'Auvergne" que des Seyssel-la-Chambre, d'où le nom que portait Philippe, "le Cardinal de Boulogne" afin de marquer son appartenance à cette famille. 

 

Sur le modèle des Saintes chapelles royales, il est difficile de ne pas faire un parallèle entre la collégiale Saint Anne de Chamoux-sur-Gelon et la collégiale Sainte Anne du château d’Ussé sur le bord de la Loire. Cette collégiale fut construite par Jacques d’Espînay, chambellan des rois Charles VIII et Louis XII et son fils entre 1521 et 1534 pour leur servir essentiellement de chapelle funéraire (la collégiale est consacrée en 1538). Les contacts entre la famille d’Espinay et celle de la Chambre ont pu se produire aussi avec la personne d’André d’Espinay qui a été archevêque de Lyon entre 1488 et 1500 en rivalité avec Amédée de Talaru favoris du chapitre. André d’Espinay a été aussi cardinal en 1489.

 

Comme d’autres collégiales de ce type, elles ont la particularité de cumuler aussi une fonction de chapelle castrale, voir pour quelques unes de paroisses. En total contradiction avec la réforme grégorienne, les familles fondatrices de ces chapelles collégiales contrôlent totalement le clergé qui desservent ces collégiales. Ce qui est le cas pour la collégiale de Chamoux-sur-Gelon et c’est ce qui nous fait comprendre la forme assez inhabituelle de l’hommage seigneuriale exigé par le duc de Savoie après la mort de Barbe d’Amboise. 

Sainte Chapelle de Riom en Auvergne (photo E. Coux).

Sainte Chapelle de Riom en Auvergne (photo E. Coux).

Localement, le château de Chamoux-sur-Gelon fait face au grand château de Miolans. Nous ne pouvons pas exclure une rivalité locale avec cette famille qui avait en plus hérité des biens des seigneurs de Montmayeur à la fin du XV e siècle. De plus, Jacques de Miolans avait réussit à rapporter une relique importante pour la chapelle castrale de son château : une épine du christ. Ce n’était pas la seule relique de ce genre en Savoie puisque les seigneurs de Nances en Savoie, les Montbel, possédaient aussi une relique de l’épine du christ.

 

Mais cette relique rehaussait considérablement le prestige de cette famille et l’aura de la chapelle castrale du château de Miolans qui avait aussi le rang d’église paroissiale pour le château et le bourg adjacent. Cette relique était une relique de la passion qui, de fait, mettait cette chapelle au même rang que les Saintes Chapelles royales. La seule différence étant le rang bien moindre des fondateurs. Cette chapelle avait été refaite à la fin du XV e siècle pour servir d’écrin à cette relique. Son emplacement est édifiant. Elle est visible comme les éléments les plus prestigieux du château (tour du Donjon, tour Saint Pierre) de partout dans la vallée et elle fait partie d’une étape dans un parcours cérémonial qui va du châtelet d’entrée en passant par les différentes portes pour terminer dans la haute cour du Donjon.

 

A Chamoux-sur Gelon, l’élévation d’une collégiale, même sans relique, peut donc aussi se comprendre dans la concurrence locale avec les Miolans. Elle prend aussi sa place dans le cadre d’une étape dans un parcours cérémonial entre le châtelet d’entrée et le donjon.

 

Le style du château de Chamoux-sur-Gelon, si nous faisons une comparaison avec les châteaux d’Issogne, de Gaglianico, de Carrouges, de Chaumont-sur-Loire et de Gaillon nous montre une période qui va de 1499 à 1509/1519. La construction de la collégiale et l’intérêt de Barbe d’Amboise pour ce château nous donne une période entre 1501-1515 et 1573 (date où elle déménage à Chambéry pour raison de mauvaise santé). Si nous nous référons à la rivalité avec la famille de Miolans, celle-ci s’éteind en 1523. En 1560, le châtelet d’entrée de Chaumont-sur-Loire est amélioré signe de la valeur décorative et de la symbolique importante de cet élément encore à cette date. D’autres familles nobles construisent encore des châtelets d’entrée en 1580/1590. Est ce qu’à Chamoux-sur-Gelon, ce châtelet avait eu pour but de rappeler les liens entre la famille de Seyssel-la-Chambre et les d’Amboises plusieurs années après la disparition de Georges d’Amboise ? 

Château de Miolans, la chapelle est à droite (photo E. Coux)

Château de Miolans, la chapelle est à droite (photo E. Coux)

Conclusion :

S’interroger sur l’histoire du château de Chamoux-sur-Gelon, c’est s’interroger sur l’apparition et la place des châteaux résidentiels dans le duché de Savoie. Si nous pouvons émettre qu'une hypothèse sur un lien entre ce château et celui de Chaumont-sur-Loire, l’étude sommaire menée ici n’est pas suffisante pour la confirmer. Mais rien non plus ne vient l'infirmer. Elle a aussi l’opportunité de soulever la question de l’évolution castrale en Savoie à la fin du XV e et au début du XVI e siècle vers un aspect plus résidentiel et confortable des châteaux, que guerrier.

 

En effet, au-delà de la comparaison et de la réflexion sur les deux tours du châtelet d’entrée se pose la question de l’emplacement de ce château. Il n’est pas très stratégique et pas non plus dans le site le plus défendable. Mais il est facile d’accès et beaucoup plus confortable que l’ancien château fort au dessus du bourg. L’aspect résidentiel prime donc sur l’aspect défensif.

 

Le châtelet d’entrée du château de Chamoux-sur-Gelon ne prend pas sa place non plus dans le cadre d’une défense du château mais comme un aspect représentatif et ostentatoire de ce château. Le châtelet est un élément dans un « parcours cérémonial » qui commence hors du château, sur la place où se trouve l’église prieurale du village, passe après avoir traversé cette porte, devant la collégiale Saint Anne et se termine dans le corps de Logis-donjon. Le châtelet a aussi comme rôle de participer, avec l’église prieurale, à la parure monumentale du village. C’est aussi le seul élément clairement visible pour ceux qui ne rentrent pas dans le château.

 

Dans ce cadre, ce château s’apparente aux châteaux normands de Gaillon, Carrouges, mais aussi au château sforzien de Vigevano en Lomelline.

château de la Rochette (photo E. Coux)

château de la Rochette (photo E. Coux)

Si nous voulons élargir notre point de vue et regarder l’ensemble des demeures de la famille Seyssel-la Chambre, nous voyons que le château d’Epierre en Maurienne, qui est très bien conservé, est lui aussi en contrebas du bourg, donc lui aussi comme Issogne et Chamoux-sur-Gelon dans une position défensive assez mauvaise. Tout porte à croire qu’ici aussi l’aspect résidentiel a primé devant l’aspect défensif. Pourtant, ce château a été construit (ou reconstruit) au XIV e siècle, bien avant la renaissance française. Une piste de réflexion peut nous être donnée avec le château de Beauvoir-sur-Royan, château princier du Dauphin Humbert II de la Tour-du-Pin, qui semble avoir été la première importation de la renaissance italienne dans ce qui était alors le royaume de Bourgogne appelé aussi royaume d’Arles et de Vienne.

 

Le château de Chamoux-sur-Gelon permet aussi de se pencher sur une période encore assez méconnue de l’histoire de la Savoie : celle où la Savoie va subir les conséquences des guerres d’Italie menées par la France. Cela permet de reprendre une réflexion sur une historiographie qui a fait de Louis de Seyssel-la Chambre un opposant des Piémontais refusant avant l’heure le transfert de la capitale de Chambéry à Turin et annonçant ainsi un clivage entre les deux parties du duché de Savoie ; clivage qui allait se résoudre en 1860 avec une séparation entre la partie Ouest de l’ancien duché de Savoie et sa partie à l’Est des Alpes.

 

Il faudrait peut être revenir sur cette historiographie qui, au XIX e siècle, a eu un but politique évident. Et peut être parler plus simplement de deux partis aristocratiques opposés, favorables l’un à une alliance avec le roi de France, et l’autre à une alliance avec le milanais, alliance qui allait muter en une alliance avec le Saint Empire romain Germanique. D’ailleurs, ce clivage politique peut difficilement se superposer à un clivage géographique. Par exemple, la famille Gorrevod de la Bresse, faisait partie du clan favorable à l’Empire bien qu’étant située géographiquement à l’Extrême Ouest du duché Savoie. Et inversement, la puissante famille des Ferrero de Biella, propriétaire du château de Gaglianico que nous avons vu, bien qu’initialement dans le camp de Blanche de Monferrat, serviront ensuite fidèlement le roi de France comme gouverneur du milanais, ce qui permettra à la famille de devenir une des plus puissantes d’Europe et à obtenir pas moins de cinq cardinaux et les sièges des diocèses d’Ivrée et de Verceil pour un siècle, plus d’autres sièges épiscopaux éparses (Nice, Bologne, ...) .

 

La réussite des ferreri (pluriel de Ferrero) est à mettre en parallèle avec celle des Seyssel et des Seyssel-la-Chambre. Ces derniers obtiennent un cardinalat pour Philippe en 1533, fils de Louis de la Chambre mais aussi les sièges prestigieux de l’évêché de Genève (Charles de Seyssel de 1509 à 1513) et de l’archevêché de Turin (Claude de Seyssel de 1517 à 1520). Ces villes étaient des villes clefs du duché de Savoie. Les Seyssel-la-Chambre obtiennent aussi le siège épiscopal de Belley pour le cardinal Philippe (1534-1538) et son neveu Antoine qui lui succède (1538-1575). La réussite, c’est aussi l’obtention de quatre collégiales pour la famille. Si nous nous mettons dans le camp opposé, la famille de Gorrevod a peut être une collégiale à Pont-de-Vaux et un titre de Cardinal (1530) avec les évêchés de Bourg-en-Bresse et de Maurienne. La famille Gattinara a aussi un titre de Cardinal (1530). Ces deux cardinalats, arrivés sur le tard sont surtout l’œuvre de Charles Quint. 

 

Emmanuel Coux 2018

château d'Epierre en Maurienne (photo E. Coux)

château d'Epierre en Maurienne (photo E. Coux)

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