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Flanerie-historique-dans-l-ancien-duche-de-Savoie.over-blog.com

Les articles proposent une flanerie historique dans les anciennes terres des ducs de Savoie, c'est à dire l'Ain actuel, les départements de Savoie et de haute Savoie, les Alpes Maritimes, le Piémont et la Suisse romande. L'objectif est de faire coincider l'histoire et le patrimoine existant

Aoste, guerres privées et enjeux de pouvoir pour le contrôle d’une cité épiscopale.

château de Bramafan à Aoste (Photo E. Coux)

château de Bramafan à Aoste (Photo E. Coux)

La vallée d’Aoste pour la Maison de Savoie est un territoire d’une importance primordiale en raison de l’existence de deux voies de communication importantes. Nous avons tout d’abord la route des Gaules qui va de Milan à Vienne et passe par le Petit Saint Bernard et la Tarentaise, puis celle qui passe par le Grand Saint Bernard pour aller soit dans les foires de Champagne par le col de Jougne, soit en Allemagne par Berne et le plateau Suisse.

 

Ces deux routes se rejoignent dans la ville d’Aoste, ville principale de la vallée d’un point de vue politique, économique et religieux. Cette ancienne cité conserve d’important vestiges de son passé romain notamment son enceinte qui a été restaurée par d’Andrade au XIX e siècle. Ces restaurations, pour redonner le faciès romain de la ville, ont malheureusement altérés certaines modifications survenus au moyen-âge ; modifications qui peuvent nous aider à comprendre la mutation de la ville au cours de cette période.

 

En effet, la première constatation est qu’au moyen-âge, certaines parties de l’enceinte comme les Portes et les tours ont été accaparés par la noblesse locale et régionale qui les ont transformé en château-fort privés. 

Tour du lépreux, Tour romaine transformée en château pour les nobles Frior et vue de l'enceinte romaine (photo E. Coux)

Tour du lépreux, Tour romaine transformée en château pour les nobles Frior et vue de l'enceinte romaine (photo E. Coux)

Ce phénomène n’est pas unique à la ville d’Aoste puisqu’il se retrouve dans certaines cités romaines comme Suse, Turin, (dans l’espace savoyard) ou Toulouse (hors de l’espace savoyard) par exemple. Ces transformations ont été aussi concomitantes à une évolution de l’urbanisme qui est par contre difficilement lisible à cause de la densification urbaine de ces derniers siècles.

 

Afin de comprendre ces mutations, nous allons essayer de partir de ces châteaux forts construits sur l’enceinte romaine, de les hiérarchiser en fonction du degré de pouvoir des familles propriétaires et d’établir une correspondance entre la cité et le « contado » qui ici se calque à la fois géographiquement sur la vallée d’Aoste mais aussi sur le diocèse.

 

L’évolution de son enceinte et ses modifications peuvent nous aider à comprendre les rapports de forces politiques dans la ville et dans la vallée et savoir comment la Maison de Savoie a acquis un pouvoir hégémonique.

position de la vallée d'Aoste dans le duché de Savoie et principaux itinéraires routiers (carte E. Coux)

position de la vallée d'Aoste dans le duché de Savoie et principaux itinéraires routiers (carte E. Coux)

1- De la ville romaine à la ville médiévale :

La ville romaine d’Aoste est comprise dans un quadrilatère qui forme son enceinte. Elle avait quatre portes principales qui se trouvaient aux extrémités du Cardo et du decumanus (routes principales qui se croisent à angles droits). De nos jours, seule la Porte prétorienne à l’Est de la ville est conservée. C’est une des portes les plus grandes que l’Empire romain a connue. L’enceinte romaine est cependant assez bien conservée et c’est très facile de la suivre pour voir son tracé.

 

Le decumanus a été conservé en totalité puisque c’est la route des Gaules et la route principale, la « Grande rue » qui traverse encore la ville d’Est en Ouest. Le Cardo est aussi très lisible. C’est la rue « croix de ville » qui se prolonge à la rue « Challant ». Les vestiges de la parure monumentale sont aussi assez visible comme le théâtre, l’amphithéâtre et le forum. C’est d’ailleurs près du forum que s’installera la cathédrale. 

clochers de la cathédrale (photo E. Coux)

clochers de la cathédrale (photo E. Coux)

Contrairement à l’idée selon laquelle la ville était devenue un désert pendant le haut moyen-âge, la ville va plutôt subir une mutation. L’habitat, qui semblait assez homogène à l’intérieur de son enceinte à l’époque romaine va au moyen-âge s’agglutiner sur les routes des Gaules et de Germanie, c’est à dire autours du Cardo et du Decumanus romain. Ce qui aura comme conséquence de dépeupler certaines zones à l’intérieur de l’enceinte romaine et de créer de vastes faubourgs sur les axes principaux de la ville avec de nouveaux bourgs assez éloignés du centre ville comme le bourg atours du pont romain sur le torrent Buthier.

 

Cela va aussi avoir comme conséquence le fait que la ville romaine à l’intérieur de l’enceinte va se diviser en trois bourgs ou trois quartiers, liés à des portions de ces routes. Nous avons tout d’abord le quartiers du Bourg ou de la Trinité lié à la porte prétorienne principale qui existe toujours. Puis nous avons ensuite le quartiers de Bichiara lié au croisement des routes et à la Porte principale Ouest, celle qui donne sur le petit Saint Bernard. C’est le quartiers où se croise le cardo et le decumanus. Nous pouvons expliquer cela par le fait que le cardo de la ville d’Aoste n’est pas situé au centre du rectangle de la ville romaine, mais est décalé à l’Ouest.

Grande rue d'Aoste; Au moyen âge la largeur du decumanus a été réduite et seule l'arche Nord de la Porte Saint Ours était fonctionnel. (Photo E. Coux)

Grande rue d'Aoste; Au moyen âge la largeur du decumanus a été réduite et seule l'arche Nord de la Porte Saint Ours était fonctionnel. (Photo E. Coux)

Enfin, nous avons, près de la porte principale romaine Nord, le quartier de Malconseil, quartier qui semble comprendre aussi la cathédrale. Le nom de Malconseil viendrait du « Mallus » c’est à dire du plaid de justice qui était rendu à cet endroit. La division de la ville en quartiers va aussi se matérialiser au moyen-âge avec la création de portes fortifiées à l’intérieur de l’enceinte romaine séparant ses quartiers. Elle va aussi se concrétiser en une séparation juridique : chaque quartier élisait deux syndics comme si c’était trois communes distinctes.

 

Chacun de ces trois quartiers étaient intimement liés à leurs faubourgs. Ces faubourgs s’étaient aussi développés autours des anciennes églises funéraires paléo-chrétiennes qui avaient elles-mêmes surgit sur les nécropoles tardo-antiques de la ville. Le développement d’églises funéraires en dehors de l’enceinte est un schéma classique qui se retrouve dans toutes les cités romaines. 

Plan superposé des Aostes romaines et médiévales : en hachuré, les zones urbaines au moyen-âge (dessin E. Coux)

Plan superposé des Aostes romaines et médiévales : en hachuré, les zones urbaines au moyen-âge (dessin E. Coux)

A Aoste, les nécropoles et églises tardo-romaines se sont développées près des plus grandes voies de circulation. C’est à dire, pour l’église Saint-Laurent, près de la porte prétorienne, pour l’église Saint-Etienne près de la porte Nord qui donne vers le col du Grand Saint-Bernard, et pour l’aire de Saint-Martin-de-Corléans, vers le col du Petit Saint Bernard.

 

C’est donc près de l’église Saint-Laurent que se développera le prieuré Saint-Ours, une des principales entités ecclésiastiques de la vallée, qui donnera son nom au faubourg le plus important de a ville. Le deuxième faubourg le plus important de la ville est celui de Saint-Étienne, sur la porte Nord, qui devient une paroisse à part entière. Le troisième faubourg, celui qu’on appellera plus tard Vaudan sera le moins important. Cela est dû à deux facteurs : le premier est que le trafic du petit-Saint-Bernard est mois important que le trafic du grand-Saint-Bernard. Le second facteur est que le quartier de Bichiara à l’intérieur de l’enceinte, est plus développé en superficie que le quartier de Malconseil. De ce fait, il a moins besoin de sortir de l’enceinte pour se développer.

 

C’est ce qui peut expliquer pour ce dernier faubourg, que l’église de Saint Martin de Corléans ait été repoussée vers un ancien lieu de culte pré-romain près de la route des Gaule et quitta la nécropole quasiment accolée à l’enceinte romaine.

Eglise Saint Laurent en face du prieuré Saint Ours (Photo E. Coux)

Eglise Saint Laurent en face du prieuré Saint Ours (Photo E. Coux)

Une autre conséquence de cette mutation de la ville, en plus de la subdivision et la multiplication des bourgs est que la partie Sud de la ville qui n’a en plus aucun élément prestigieux de la parure monumentale (l’amphithéâtre, le théâtre et le forum sont au Nord) est quasiment abandonnée.

 

Néanmoins, les espaces vides de la ville seront partiellement comblés par l’implantation de prieurés. C’est au Sud le prieuré de Sainte Bénigne et au Nord, dans l’espace laissé libre entre le groupe cathédrale et les ruines du Théâtre et de l’Amphithéâtre romain, le prieuré de Saint Jacquême, une dépendance des Chanoines Augustins du Grand Saint-Bernard.

 

Le pouvoir laïc de la ville va donc se concentrer sur ces trois nouveaux quartiers et les portes romaines vont devenir le lieu idéal pour implanter des forteresses qui vont contrôler à la fois les quartiers intérieurs de la ville, mais aussi les faubourgs qui leur sont accolés.

 

Les seigneurs vont aussi profiter des infrastructures romaines et du prestige de ces infrastructures pour montrer leur pouvoir. Et ces portes, qui étaient à la limite de la ville romaine sont devenues au moyen-âge les nouveaux centres de la ville.

Prieuré de Saint Ours, son cloître roman et son campanile (Photo E. Coux)

Prieuré de Saint Ours, son cloître roman et son campanile (Photo E. Coux)

2- La porte Saint-Ours et les seigneurs de Quart

Nous trouvons ainsi sur ces portes, l'élite de la noblesse valdôtaine. En premier, nous avons les seigneurs de « Portes Saint Ours », qui deviendront les « Quart ». Ils tiennent la porte la plus prestigieuse de la ville, la porte prétorienne, à l’Est de la ville.

 

Cette porte est au centre du quartier appelé du « bourg », et maintenant de « Saint-Ours ». ll était définit sans tenir compte de l’enceinte romaine. Il s'étendait de l'actuelle place Chanoux incluse jusqu'à presque l'Arc de triomphe à l’entrée de la ville à l’Est d'Aoste. Ce quartier, en partie nouveau, avait une enceinte puisque du côté de l'Arc romain se dressait une porte appelée « Porte du Chaffa ». Une autre porte le séparait intra-muros du quartier de Bicharia à l'entrée de l'actuelle place Chanoux, la porte ferrée ou « Ferrata » .

 

La porte de Saint Ours n'avait donc plus de fonction de limite mais se trouvait être alors au cœur d'un quartier qui en plus semblait être le plus dynamique d'un point de vue économique de la cité. C'était à côté de la Porte prétorienne que se situait la foire de la Saint Ours qui était le plus grand événement économique de la vallée au moyen-âge. C'était aussi dans ce quartier et sous cette porte que passait tout le transit pour les cols des grands et petits Saint Bernard. Cela donne aussi de ce fait une impression de la puissance que devait avoir les seigneurs de la Porte Saint Ours qui contrôlaient ce quartier avec les chanoines de Saint Ours. 

Porte Saint Ours et la tour élevée à la place de la tour romaine (photo E. Coux)

Porte Saint Ours et la tour élevée à la place de la tour romaine (photo E. Coux)

Ce quartier semble se limiter au Nord et au Sud par les anciens bastions romains devenus les maisons fortes des nobles Casei au Nord et des nobles Plouves au Sud ; bastions qui encadrement symétriquement la Porte prétorienne au Nord et au Sud. Les nobles Casei, comme le nobles Plouves semblent eux être inféodés aux seigneurs de Quart/Porte Saint-Ours dont ils sont aussi apparentés.

 

La seigneurs de Porte Saint-Ours transformèrent donc la Porte prétorienne en un château. Il laissèrent cependant le rôle de Porte de la ville en fermant seulement le passage principal et le passage seconaire Sud , mais en laissant ouvert le passage secondaire Nord de la porte. Le four banal du quartier était placé aussi dans ce château. Si la première mention de ce château date de 1176 avec la chapelle de la Trinité, la reconstruction de la tour au Nord de la Porte sur un bastion romain, la tour que l’on voit actuellement, intervint qu’entre 1217-1226.

La tour des Casei (Fromages) et en arrière plan la tour du Bailli (photo E. Coux)

La tour des Casei (Fromages) et en arrière plan la tour du Bailli (photo E. Coux)

Il se peut que ce soit déjà les seigneurs de « Porte Saint Ours » qui construisent au dessus de la porte prétorienne, la Chapelle de la Sainte Trinité, avec une abside en encorbellement, chapelle qui donnera son nom à la Porte et au quartier. Cette chapelle encore visible à la fin du siècle dernier a été détruite pour redonner à la Porte Prétorienne, son faciès romain. Quelques anciennes photographies peuvent nous donner une idée de son aspect.

 

La première citation de cette chapelle est une bulle papale de 1176. Entre 1170 et 1176, nous avons, à la tête de l’évêché d’Aoste, un membre de la famille des Quart/Porte Saint Ours, Aymon. Est ce à cette période que la famille de Quart/porte Saint Ours va mettre la main sur cette porte ? à cette époque, l’évêque aurait pu favoriser sa famille. D’autant que ce n’est pas le premier membre de cette famille a accéder à l’épiscopat d’Aoste. Avant lui il y a eu Boson (vers 1090-1115) et un second Bonson (entre 1141 et 1147).

 

Rappelons qu'à cette époque l'évêque semble tenir la puissance publique, non seulement dans la ville, mais sur tout le diocèse. Il semble la tenir probablement jusqu'au milieu du XIII e siècle environ car il représente l'Empereur dans le diocèse. Il se peut que la Porte Prétorienne ait été une Porte/forteresse publique et qu'elle a été concédée par l'évêque à des membres de sa famille. 

 

Ce type architectural, d’une chapelle au dessus d’une porte, doit être vu comme un rappel clair à la dynastie impérial des Honhenstauffen comme le fait remarquer l’architecte Bruno Orlandi dans son ouvrage « Architettura in Valle d’Aosta ». L’expansion de ces seigneurs, à cette époque, ne serait peut être pas étrangère à une alliance étroite avec l’empereur notamment dans le cadre du conflit entre l’Empire et la Maison de Savoie ? 

Photo ancienne de la porte. Nous voyons l'abside de la chapelle au dessus de la grande arche.

Photo ancienne de la porte. Nous voyons l'abside de la chapelle au dessus de la grande arche.

Nous les trouvons ensuite les seigneurs de « Porte Saint Ours » en 1185 possessionné du château de Quart dont ils prendront ensuite le nom.

 

La juridiction des seigneurs de Quart/Porte Saint Ours était immense. Elle s’étendait sans discontinuité du quartier de la Trinité à Aoste (où se trouve la Porte prétorienne) jusqu’à Quart (avec la seigneurie de Villair). Ils possédaient aussi sur la rive opposée de la Doire, la seigneurie de Brissogne qui comprenait aussi Polleins et Charvensod.

 

Les seigneurs de Quart/Porte Saint Ours était aussi seigneur depuis le milieu du XIII e siècle, d’une partie de la seigneurie de Saint Pierre dans le mandement de Chatel-Argent (cette seigneurie s’étendait sur six paroisses), mais aussi possédaient les maisons fortes de Rhins (arrière fief de la mense épiscopale), de Doue, une partie de celle d’Alain qui sont dans la Valpelline et proche de la route du Grand Saint Bernard et avaient la seigneurie d’Entremont dans le Valais (haut Chablais). 

La chapelle se situait au dessus de l'arcade principale. Au moyen-âge, les arcades avaient été bouchées et seul l'arcade au fond (Nord pour les piétons servait de Porte à la ville. Photo E. Coux

La chapelle se situait au dessus de l'arcade principale. Au moyen-âge, les arcades avaient été bouchées et seul l'arcade au fond (Nord pour les piétons servait de Porte à la ville. Photo E. Coux

3- L’ascension de la Maison de Savoie en Val d’Asote, les Challant et les châteaux de Bramafan et de « Tour du Bailli ».

Il est intéressant de voir que l’empereur Frédéric 1er Barberousse décéda en 1190 et que les franchises de la ville accordées par le comte de Savoie Thomas 1er datent de 1191. La mort de l'Empereur a dû affaiblir tous ses soutiens dont l'évêque de la ville et les seigneurs de Quart, ce qui permis à Thomas 1er de renforcer la commune et son pouvoir sur la ville dans une sorte d’alliance Guelfe.

 

Cette charte semble être un compromis avec l'évêque, clarifiant les droits des uns et des autres. Elle n'inclut pas le quartier de « Malconseil » qui s'étend près de la porte principale Nord de la ville. Ce quartier sera affranchi seulement en 1356 dans un accord entre les Savoie et les seigneurs de Quart. L'aire de la juridiction de la charte à cette époque va du pont du torrent Buthier jusqu'au pont du torrent de Saint Genix, et de là jusqu'à la Doire. Cela représente environ plus de la moitié de la ville.

 

L’offensive juridique de Thomas de Savoie de 1191 sur Aoste ne semble cependant pas avoir de suite puisque selon l’historien J,B. De Tillier, le nouvel empereur Henri VI envoya immédiatement à Aoste un nouveau gouverneur. 

Pont romain du Buthier où au moyen âge s'élevait un bourg (photo E. Coux)

Pont romain du Buthier où au moyen âge s'élevait un bourg (photo E. Coux)

Les comtes de Savoie semblent avoir pu compter sur la famille des Vicomtes d’Aoste qui sont devenu en 1200 ou 1206, les Challant, suite à l’inféodation de cette vallée (la basse vallée d’Ayas) à cette famille par la Maison de Savoie. Les Challant deviendront à la fin du XIV e siècle, les seigneurs les plus puissants de la vallée. Ceux-ci tiennent au XIII e siècle, la porte principale Sud de la ville d’Aoste, la moins importante des quatre portes principales romaines pour y construire le château de « Bramafan ». Cette porte est aussi appelée « Porte Béatrice ou Tour Béatrice ». Ce château est mentionné pour la première fois en 1212-1214. Ces dates sont à peu près contemporaines aux travaux qui sont exécutés dans le chateaux des Quart sur la Porte prétorienne Ouest (Porte Saint Ours). Il semble qu’il y ait eu une surenchère de la part des seigneurs de Quart.

 

En 1242, Amédée IV et son frère Thomas (II) de Savoie entreprennent une grand offensive contre le seigneur et le château de Bard dans la basse vallée d’Aoste, forteresse réputée imprenable. Leur victoire semble couronner la définitive supériorité de la Maison de Savoie dans cette vallée. Jacques, seigneur de Quart/Porte Saint Ours fait, cette année hommage au comte de Savoie Amédée IV. Les seigneurs d’Avises qui eux aussi étaient aussi opposés à la Maison de Savoie se soumettent au comte de Savoie et reçoivent la reconnaissance de leurs terres entre 1242 et 1243. 

Château de Bramafan (photo E. Coux)

Château de Bramafan (photo E. Coux)

Nous pouvons aussi mettre comme conséquence de cette victoire savoyarde l’élection à Aoste en 1243 d’un évêque très favorable à la Maison de Savoie, Rodolphe de Grossi du Châtelard qui deviendra ensuite en 1246 ou en 1249, archevêque de Tarentaise. Rodolphe du Grossi est connu pour avoir fait construire le Château du Châtelard à la Salle (Valdigne).

 

Un autre évènement découle peut être des deux précédents, c’est la fondation du couvent Sainte Catherine des chanoinesses de Saint Augustin par Godefroy de Challant en 1247 sur l’ancien amphithéâtre romain situé dans l’angle Nord-Est de la ville (près de la future tour du bailli)

 

Thomas II en 1253 renouvelle les franchises de 1191. 1253 est l’année de la mort du comte de Savoie Amédée IV. Il laisse derrière lui un fils mineur, Boniface et des frères ambitieux qui veulent une part de leur héritage. Est-ce que Thomas II qui n’est pas comte en profite pour s’imposer dans la vallée d’Aoste, fort de titre de Vicaire impérial accordé par l’Empereur Frédéric II et renouvelé par le roi des romains Guillaume de Hollande ? 

Eglise Sainte Catherine et la tour du bailli à gauche

Eglise Sainte Catherine et la tour du bailli à gauche

La même année en 1253, le château de bramafan est saccagé par Jacques de Quart. Les nobles de Challant étaient en effet traditionnellement les ennemis des seigneurs de porte Saint Ours/Quart. Mais cette guerre interne révèle la faiblesse de la Maison de Savoie cette année-là. En effet, il se peut qu’il y eu une concurrence entre Thomas de Savoie et son frère Pierre pour s’imposer dans la vallée au détriment du comte Boniface de Savoie. Pierre II s’impose entre 1254 et 1255 à Chillon et à Saint Maurice d’Agaune.

 

Dans le même temps, Thomas II a des difficultés avec le Marquis de Monferrat. La mort de Thomas II en 1259 semble laisser le champ libre à Pierre de Savoie qui usurpera le pouvoir comtal à son fils Thomas III en 1263. Nous pouvons donc nous interroger sur le symbole de la tombe de Thomas II dans la cathédrale d’Aoste. 

Gisant de Thomas II réalisé par le sculpteur de la val d'Aoste Stéphane Mosetaz au XV e siècle (Photo E. Coux)

Gisant de Thomas II réalisé par le sculpteur de la val d'Aoste Stéphane Mosetaz au XV e siècle (Photo E. Coux)

La reconstruction du château de Bramafan n’interviendra qu’entre 1260-1263. C’est aussi les années de l’épiscopat de Pierre de Pallacio. C’est la famille « de Pallacio » qui vendra la tour d’angle Nord-Est de l’enceinte romaine au nouveau comte de Savoie Pierre II. Cette tour, citée dès 1192 se trouve dans l’espace près de l’amphithéâtre romain devenu le couvent de Sainte Catherine.

 

La tour sera ensuite reconstruite par le comte de Savoie qui y mettra son représentant puis son bailli, d’où son nom de tour du Bailli.

 

La tour du bailli est sûrement surélevée à cette époque en concurrence avec la grande tour du château de Porte Saint Ours pour être plus haute qu’elle. La similitude des styles induit de fait une comparaison et montre indirectement que le château de Porte Saint Ours devait être vu comme la fortification principale de la ville. Toujours en 1263, les Challant détruisent la tour des seigneurs de « la Porte » sur la Porte Nord de l’enceinte romaine. L’année 1263 semble donc être une année de reprise en main de la ville pour la Maison de Savoie avec la venue du nouveau comte, Pierre II. 

Tour du Bailli ou du Bailliage, la plus haute tour de la ville (Photo E. Coux)

Tour du Bailli ou du Bailliage, la plus haute tour de la ville (Photo E. Coux)

Tour de Porte Saint Ours (aménagée sur la porte prétorienne) (photo E. Coux) Remarquez la similitude de style.

Tour de Porte Saint Ours (aménagée sur la porte prétorienne) (photo E. Coux) Remarquez la similitude de style.

Le château de Bramafan a lui été construit en plusieurs étapes. Si le corps de Logis est ancien, la tour ronde a été construite ou reconstruite à la place de la tour romaine entre 1286 et 1287. Cette tour est semblable à celle du château de Chatel-Argent construite en 1275. Elle est d’ailleurs sûrement copiée sur ce modèle à la fois pour l’innovation technique, mais aussi très probablement pour s’afficher dans l’alliance de la Maison de Savoie. C’est aussi à cette époque que les Challant ou leur vassaux, les Villa reconstruise la tour de Tourneuve dans l’angle Nord-Est de l’enceinte romaine ; tour qui est encore en construction en 1283.

 

Le château de Châtel-Argent semble être à cette époque, un des présidio principal de la Maison de Savoie en vallée d’Aoste. On ne sait pas quand ni comment les comtes de Savoie ont acquis ce château. Il est mentionné en 1245. Il se peut que la Maison de Savoie l’ait acquis après sa victoire de 1242 sur les seigneurs de Bard dans la basse vallée d’Aoste. D'autres historiens pensent que c'est un bien fiscal, tombé dans les mains de la Maison de Savoie depuis le XI e siècle. Ce serait leur première et unique forteresse en Val d'Aoste avant 1242.  

 

Les années 1275-1290 semblent être une période d’affirmation territoriale par la reconstruction ou le renforcement des châteaux de la Maison de Savoie. Le château de Bard qui va devenir un des plus gros château fort de la Maison de Savoie est renforcé en 1278.

 

En 1295, une partie des droits de la porte et du château de Bramafan passe avec la Vicomté d’Aoste à la Maison de Savoie contre le château de Monjovet

Château de Châtel-Argent avec au fond, les glaciers du Rutor (¨Photo E. Coux)

Château de Châtel-Argent avec au fond, les glaciers du Rutor (¨Photo E. Coux)

4-Les seigneurs de Porta et de Gignod

Sur la porte principale Nord, celle qui conduit au col du Grand Saint Bernard, nous avions deux châteaux qui ont été construits sur chacune des tours encadrant la porte romaine. A l’Est c’était la tour des nobles de « Porte » ou de « la Porte ». A l’Ouest, la tour des nobles Foldaschi citée à partir de 1147 jusqu’au début du XIVe siècle.

 

Les nobles de  « Porte » figuraient parmi les plus riches et les plus puissants du Val d'Aoste.. Ils semblaient aussi tenir une porte intérieur de la ville, celle de Malconseil. Les seigneurs de Porte faisaient partie d’un consortium de nobles avec liens flous entre l’alliance et la vassalité entre eux. Ce consortium était composé des Gignod, des Dochans, des Aschiery et peut être des Foldaschi. Ces nobles possèdent aussi des terres sur l'accès du grand Saint Bernard, notamment dans le faubourg élargie de la ville jusqu’à Gignod. Ils semblaient aussi être alliés aux Avises et aux Quart qui possèdent aussi quelques terres dans cette vallée. En 1263, les vicomtes d’Aoste, les Challant, démolissent la tour des nobles de la Porte. Est ce que cela à un rapport avec l’acquisition de la tour du bailli par le comte de Savoie et donc le renforcement de son pouvoir dans la ville la même année? Sans doute. Cela va sûrement aussi permettre au Comte de Savoie Philippe d’acheter des morceaux de la grande seigneurie de Gignod, possédée par le consortium Aschiery, Avise, Porte, Dochan et Gignod. La tour de « Porta »est de nouveau citée en 1287. Elle avait été entre temps reconstruite.

 

Le quartier de Malconseil semblait se prolonger à l’Est jusqu’à la porte de la Poterne qui est une porte secondaire percée dans l’enceinte romaine. Ou, est ce que le quartier de la cathédrale est à part ? La cathédrale d’Aoste a été construite sur l’ancien forum romain ; forum qui est toujours la place de la cathédrale aujourd’hui. Le temple principal a été transformé en château fort. C’est la Maison forte d’Allinge qui existait en 1125, du nom d’une famille puissante du Chablais. Nous savons que les Allinges étaient très liés à l’abbaye de Saint Maurice d’Agaune. Est ce que cette maison forte avait un lien avec cette abbaye ? Celle-ci avait des propriétés et des châteaux dans la vallée, comme le château de Graine encore très bien conservé. 

Soubassement du temple romain principal de la ville au centre du forum qui fut transformé au moyen âge en Maison forte (photo E. Coux)

Soubassement du temple romain principal de la ville au centre du forum qui fut transformé au moyen âge en Maison forte (photo E. Coux)

Remarquons que le château de Graine, près de Brusson est dans la même vallée, celle d’Ayas, que le château de Villa inféodé par la Maison de Savoie aux Challant. Nous pouvons nous poser la question de l’origine des biens de la Maison de Savoie dans la basse vallée d’Aoste, donc dans la vallée d’Ayas. Ne pouvons nous pas faire l’hypothèse que ces biens proviennent de Saint Maurice d’Agaune ? La Maison de Savoie en avait été l’abbé laïc puis après 1128 l’avoué.

 

De ce fait quel rôle tenait les Allinges dans un des endroits les plus prestigieux de la ville puisque ils étaient sur l’ancien temple principale ? Représentaient ils déjà la Maison de Savoie à Aoste ?

 

Les nobles pertuis tiennent une autre porte secondaire de l’enceinte, dont ils tiennent le nom (pertuis = petit trou). Ces seigneurs semblent avoir été peut être inféodés aux seigneurs de Porte puis, à l’extinction de cette famille en 1337, aux seigneurs de « Quart ». La porte principale Nord passe aussi aux seigneurs de « Quart » à cette époque., à la fin de la lignée des seigneurs de Porte, ce qui entraine un conflit avec la Maison de Savoie. La tour de Pertuis deviendra ensuite la propriété de la Prévôté de Verrès alors que la Porte principale Nord finit par passer à la Maison de Savoie. En 1349 aux terme d’un conflit, elle est reprise momentanément par les seigneurs de « Quart ». 

Reste de la tour et de la Porte de "Pertuis" à Aoste (Photo E. Coux)

Reste de la tour et de la Porte de "Pertuis" à Aoste (Photo E. Coux)

La prévôté Saint Gilles de Verrès était une des plus puissantes entité religieuse de la vallée. Elle possédait plusieurs prieurés et églises et notamment l’hospice du Petit Saint Bernard. Parmi les prieurés dépendant d’elle, citons celui de Seez au Pied du Petit Saint Bernard, Bellentre et toujours en Tarentaise celui de Saint Alban à Moûtiers. Elle possédait aussi l’église de Saint Martin de Corléans à l’Ouest d’Aoste.

 

Il est surprenant de voir que la région de Verrès a concentré de nombreuses possessions ecclésiastiques. Comme la haute vallée d’Ayas pour l’abbaye de Saint Maurice d’Agaune et Issogne qui était une possession de l’évêque d’Aoste. Possession qui sera réduite par le seigneur de Verrès au terme d’une guerre privée contre l’évêque et qui passera, on ne sait comment, aux mains des Challant.

 

Les Challant vont sûrement aussi faire pression sur la prévôté Saint-Gilles en construisant leur puissant château de Verrès juste au dessus. En 1466, la Maison de Savoie réussit à ôter à la prévôté de Verrès l’hospice du petit Saint Bernard pour le donner aux chanoines du Grand Saint Bernard.

château de Verrès (photo E. Coux)

château de Verrès (photo E. Coux)

5- La Porte principale Ouest et les tours d’angle Nord-Est et Sud-Est.

Les possesseurs de la Porte principale Ouest qui donne sur la Valdigne, la tour de Plot, étaient les Nobles Frior. Ceux-ci possédaient aussi le bastion romain au Sud de cette porte appelé « la tour des lépreux ». Cette tour est encore debout contrairement à la porte principale qui n’existe plus. La famille Frior est citée avec celle de Porte Saint Ours et de Porta dans les franchises de la ville de 1191. La tour des nobles Malherbes aujourd’hui détruite faisait le pendant de la tour des Lépreux au Nord de la Porte Principale Ouest. Cette tour, comme la Porte de Malconseil semblait déterminer une limite Nord au bourg de Bichiara.

 

Sur la tour Nord-Est de l’enceinte romaine, nous avons les villa de Tourneuve qui sont vassaux des Challant. Cette tour appartenait peut être primitivement aux Challant. Le nom de Villa semble se rapporter au château de « Villa » qui est une forteresse des Challant dans la vallée d’Ayas inféodé à cette famille par la Maison de Savoie en 1200 (dans la commune de Challant-Saint-Victor). 

Tour Villa de Tourneuve (Nord-Est de l'enceinte romaine) (Photo E. Coux)

Tour Villa de Tourneuve (Nord-Est de l'enceinte romaine) (Photo E. Coux)

Les « Villa » étaient les « vidomes », c’est à dire les vices-seigneurs ou représentants des seigneurs de la ville d’Aoste au XIII e siècle. Il se peut qu’ils aient été ensuite en possession du château de Villa à Gressan au dessus de l’église de la Madeleine à qui ils ont donné le nom. Ce château est très proche d’Aymaville où les Challant construiront à la fin du XIV e siècle, un puissant château.

 

Sur la tour d’angle Sud-Ouest de l’enceinte romaine il y avait les puissants seigneurs d’Avises qui sont cités en 1302 comme possesseur de cette tour. Les seigneurs d’Avises étaient implantés dans un endroit très stratégique dans la haute vallée d’Aoste, sur la route du petit Saint Bernard , qui était sur la confluence entre le torrent de la rivière Valgrisenche et la rivière Doire. Il possédaient d’ailleurs toute la vallée de la Valgrisenche. Cette vallée était surtout un itinéraire secondaire pour rejoindre la Tarentaise, par le col du Mont et Sainte-Foy-Tarentaise. 

Au premier plan à gauche, ruine de la tour d'Avise. Nous voyons bien l'enceinte romaine et à droite, le château de Bramafan (Photo E. Coux)

Au premier plan à gauche, ruine de la tour d'Avise. Nous voyons bien l'enceinte romaine et à droite, le château de Bramafan (Photo E. Coux)

La confluence entre ces deux rivières était aussi un verrou glaciaire avec des précipices et des ravins. Donc un endroit très facilement défendable notamment à « Pierre taillée » qui marquait la limite entre la Valdigne qui était la possession originelle de la Maison de Savoie dans la vallée d’Aoste et le territoire des Avises (au dessus du hameau de « Runaz »).

 

Les Avises tenaient aussi la localité de Leverogne qui était une sorte de ville neuve dépendant de la paroisse d’Arvier. L’intérêt de Leverogne est qu’elle avait un pont sur la rivière Valgriseche et que c’était aussi la bifurcation pour se rendre dans la vallée de Valgrisenche.

 

Il faut citer bien-sûr la paroisse d’Avise qui avait un des seuls pont sur la Doire entre Morgex et Villeneuve et Saint Nicolas sur le flanc ensoleillé de la vallée. Ils pouvaient avec leurs châteaux d’Avise (actuel château Blonay) et de Rochefort (au dessus de Leverogne) bloquer toutes communications entre le Val d’Aoste et la Tarentaise. 

Avise : le château ancien des Avises était le château de Blonay à droite (photo E. coux)

Avise : le château ancien des Avises était le château de Blonay à droite (photo E. coux)

Cette famille était aussi puissante au niveau religieux. Elle avait eu deux évêques d’Aoste, Hugues d’Avise (vers 1147) et Arnulfe d’Avise (avant 1152 et après 1158). Cet Arnulfe avait été auparavant prieur de la collégiale de Saint Ours (entre 1132 et 1148), il y introduit la vie régulière en 1133 (sous la règle de Saint Augustin) ; introduction qui s'est faite au détriment des droits de la Maison de Savoie sur ce Prieuré (comme cela s'est aussi produit à Saint Maurice d'Agaune entre 1128 et 1145). 

 

Au XII e siècle, la maison de Savoie qui voulait s’étendre dans la partie basse de la Valdigne (au delà de la Pierre-taillée) détenait illégalement le château de Rochefort, propriété de l’évêque d’Aoste (Le château de Rocherfort est aujourd’hui détruit. A sa place s’élève un sanctuaire). Ce château contrôlait la ville stratégique de Laverogne où passait la route du petit Saint Bernard et l’entrée de la vallée de Valgrisenche. Il lui est rendu par Thomas 1er en 1191 sûrement dans le prolongement des négociations qui ont abouti à l’accord des franchises de la ville d’Aoste. L’évêque inféodera le château à la famille d’Avise quelques années plus tard, renforçant ses liens avec cette famille qui devient vassale de l’évêque ou qui renforce son lien de vassalité avec l’évêque.

Leverogne et en haut un sanctuaire qui a remplacé l'ancien château de Rochefort (Photo E. Coux)

Leverogne et en haut un sanctuaire qui a remplacé l'ancien château de Rochefort (Photo E. Coux)

La famille d’Avise se reconnaît surtout vassale directe de l’Empereur, la première fois en 1191, puis en 1195 (2 des nones d’octobre) pour Henri VI, aussi en 1210 et le 9 des ides de juin 1211 pour Frédéric II des mains des lieutenants du Chancelier de l’Empire. Mais, entre 1242 et 1243, ils se soumettent au comte de Savoie et reçoivent la reconnaissance de leurs terres.

 

Ensuite, nous devinons un rapport de force qui s’exerce entre la famille des Avises et celle de Savoie. Les Avises construiront ensuite le château de Montmayeur en 1271 pour renforcer leur emprise dans la région. Ce château est situé en amont de celui de Rochefort, dans la vallée adjacente de Valgrisenche. Dans le même temps, en 1273, Philippe de Savoie fondera la ville de Villeneuve au pied du château de Chatel-Argent .

 

Le château de Montmayeur finira par être acquis en 1309-1310 par le comte de Savoie pour devenir vers 1323, une co-châtellenie avec Châtel Argent.

 

En 1312, Rodolphe d’Avise fut aussi empêché de construire dans la montagne la maison-forte de Planaval (Planaval est aussi dans la Valgrisenche mais bien en amont de Montmayeur, à 1500 m d’altitude environ. La vallée de la Valgrisenche était un itinéraire secondaire pour traverser les Alpes au col du Mont au niveau de Sainte-Foy Tarentaise). La mise en place d’une châtellenie dans cette région indique un état de guerre ou de quasi-guerre à cette époque. 

Fresques (1497) sur la façade de l'ancien hospice de Leverogne (photo E. Coux)

Fresques (1497) sur la façade de l'ancien hospice de Leverogne (photo E. Coux)

Nous pouvons mettre en parallèle de ces tensions en Val d’Aoste, l’opposition d’Aymon de Quart, évêque de Genève dans cette ville, qui s’allie en 1307 au Dauphin contre le comte de Savoie. Un frère d’Aymon de Quart, Eymeric est lui évêque d’Aoste depuis 1302. Faut il faire un parallèle entre l’arrivée d’Eymeric de Quart au pouvoir et la mention de la tour d’Avise à Aoste ? Faut il y voir une contrepartie à l’élection épiscopale d’un membre de la famille de Quart ?

 

Un autre frère d’Aymon de Quart est quand à lui prévôt du chapitre depuis 1288. En tenant ces évêchés et ces charges ecclésiastiques, les Quart et leur alliés sont très puissants dans la vallée d’Aoste ce qui peut expliquer les difficultés du comte de Savoie avec les Avises.

 

En 1318, la famille de « l’Archet », probablement originaire du Val d’Aoste (ou d’ailleurs) fut inféodée par le comte de Savoie à une « nouvelle bâtie » construite sur l’arc de triomphe romain à l’entrée de la ville d’Aoste (arc qui existe toujours). Cette famille noble prit alors le nom de « l’Archet », nom qu’elle transmit aussi à la Maison-forte de Morgex au centre du village.

 

La famille l’Archet tenait aussi la mestralie de la Val digne. Il est curieux que le comte de Savoie lui racheta un 8ème de cet office entre 1321 et 1322. Normalement la mestralie est la subdivision administrative d’une châtellenie. Mais il se peut que cet office, moins important qu’une châtellenie, ait été « engagée », c’est à dire remise en gage pendant un temps déterminé, le temps que le créancier se rembourse directement en encaissant directement les impôts de cette circonscription et en la gérant de manière à ce qu’elle rapporte le plus (ça amenait très souvent à des dérives, des injustices fiscales et à de l’oppression).

 

La créance du comte de Savoie envers cette famille expliquerait aussi l’inféodation d’une bâtie ne servant plus. Ce qui est aussi moyen pour le comte d’éponger ses dettes. C’est surtout un indice pour voir que les tensions avec les Avises et les Quart/Porte Saint Ours s’étaient probablement à cette époque estompés. Néanmoins, la présence d’une bâtie construite sur l’arc de Triomphe de la ville, en face de la porte de Chaffa qui contrôlait le quartier tenu par les seigneurs de Quart, indique aussi qu’avant 1318, un état quasi de guerre urbaine (probablement jusqu’à la fin de l’épiscopat d’Aymeric de Quart en 1313).

 

La tension dans la Valdigne diminue dès que les nobles d’Avise prêtent hommage au comte de Savoie en 1332. Ils ont même eu l’autorisation ensuite de reconstruire leur château de Rochefort.  Il se peut donc que le conflit qui s’était joué dans la Valdigne à Avise ait eu un parallèle dans un conflit pour tenir les positions fortes de la muraille de la ville d’Aoste. 

Bourg de Leverogne : Maison à balcon du moyen-âge (photo E. Coux)

Bourg de Leverogne : Maison à balcon du moyen-âge (photo E. Coux)

Conclusion :

La ville d’Aoste permet d’entrevoir dans son patrimoine et dans son évolution urbaine la mutation des pouvoirs qui passent de l’Empereur à la Maison de Savoie après un émiettement féodal. Cette dernière doit donc s’affirmer face à l'évêque d'Aoste qui tient la puissance publique, mais aussi face aussi à plusieurs familles seigneuriales qui tiennent les meilleurs positions de la ville et en parallèle un vaste territoire dans le contado ; terres qui leur permettent d’avoir à la fois une solide assise financière, mais aussi de tenir des points très stratégiques du territoire.

 

Même si nous avons, pour faciliter la compréhension, simplifié les rapports entre seigneurs par une dualité pour ou contre la Maison de Savoie, la réalité de ces rapports est plus complexe. Par exemple, les Challant qui sont traditionnellement favorables à la Maison de Savoie auront une période d’opposition sous Ebal de Challant (1277-1323). Les seigneurs de Quart même si ils sont puissants, ont du mal à acquérir le leadership de l’opposition à la Maison de Savoie et l’héritage des « la Porte » arrive trop tard pour renforcer leur puissance. Ils manquent aussi cruellement de puissants soutiens.

 

Les franchises de 1191 vont être un redoutable précédent et une arme juridique dans l’affirmation de la souveraineté de la ville par la Maison de Savoie. Cette arme est appuyée par des titres de comte, vicomte obtenu en 1295, vicaire impérial qui leur donne une légitimité pour s’imposer. La Maison de Savoie prendra même une charge réservée aux officiers de l'évêque en s’intitulant « chancelier d’Aoste » à partir de 1318.

 

En 1318, l'arc romain avait été transformé en château (bâtie). La famille qui en avait été inféodée a pris le nom de 'l'archet" (Photo E. Coux)

En 1318, l'arc romain avait été transformé en château (bâtie). La famille qui en avait été inféodée a pris le nom de 'l'archet" (Photo E. Coux)

Mais c’est grâce à des actions décisives dans le « contado » que la Maison de Savoie pourra s’imposer dans la ville. La première action est la réussite du siège du château de Bard en 1242. Ce château deviendra ensuite un symbole puisque la Maison de Savoie va en faire son plus puissant château. C’est peut être à cette époque qu’elle acquiert ou renforce sa châtellenie à Châtel-Argent. Il faut cependant attendre 1263 pour que le comte de Savoie s’installe dans la ville d’Aoste grâce à l’acquisition de la tour des « de Palacio ».

 

Si cette tour ne contrôle pas un des trois bourgs à proprement parler, elle est néanmoins entre les bourgs de la Trinité et celui de Malconseil. Et entre les entités ecclésiastiques de la cathédrale et du prieuré Saint Ours.

 

Mais c’est la fondation du couvent de saint François en 1352 et surtout la fin de la lignée des seigneurs de Quart/Porte Saint Ours en 1376/78, qui permettra de donner à la Maison de Savoie une hégémonie totale sur cette ville. Hégémonie qui sera confirmée par la création en 1394 d’un hôtel des monnaies.

 

Le couvent Saint François sera fondé dans une aire assez déserte de la ville entre les quartiers de Bichiara et de la Trinité. Cette position est volontairement ambiguë. Elle obéit aux lois des mendiants de construire des couvents hors des murailles, mais elle est au centre de la ville, en concurrence directe avec la cathédrale et le prieuré Saint Ours ; et aussi entre les prieurés de Saint Jacquême et de Saint Bernin. Sa construction va durer de 1353 à 1374 environ. L’architecte Bruno Orlandi fait un parallèle intéressant entre ce couvent et le château comtal d’Ivrée comme moyen de s’imposer dans une cité pour le comte. Son campanile est symboliquement plus haut que ceux de la cathédrale et de Saint Ours et il deviendra un modèle pour les clochers ruraux qui se construiront dans la vallée (comme ceux de Pré-Saint-Didier ou Chevrot par exemple). 

clocher de Pré Saint Didier (photo E. Coux)

clocher de Pré Saint Didier (photo E. Coux)

Cette fondation suscita des réactions hostiles des chanoines et des seigneurs de Quart qui provoquèrent l’intervention du comte de Savoie. Elle fait suite aux tendance autonomistes de l’évêque Nicolas de Bersator. En effet, celui-ci fonde dans son palais épiscopal une chapelle sous le vocable emblématique de « Saint Thomas Beckett, » se prenant pour le Thomas Beckett valdôtain persécuté par le comte de Savoie. La situation dégénère avec des démêlés avec les officiers du comte de Savoie. La situation se rétablira quand le comte de Savoie lui offrira une place dans son conseil résident en 1355. Ce n’est donc pas un hasard si c’est en 1356 que les franchises de la ville vont s’étendre enfin au bourg de Malconseil.

 

Amédée VI a eu une politique très en faveur des franciscains puisqu’il fonde le couvent de Bourg-en-Bresse un peu après, qu’il reconstruit le couvent franciscain de Lausanne et que probablement il pousse Jean de la Chambre à en fonder un en Maurienne à la Chambre en 1365. Ces couvents ont été des moyens pour le comte de s’imposer politiquement à la fois pour concurrencer avec les autres autorités laïques et ecclésiastiques, mais aussi pour cadrer la population bourgeoise. 

 

Emmanuel Coux

Place Chanoux, actuel hôtel de ville où se trouvait le couvent des franciscain, signe de l'importance de ce lieu dans la ville (photo E. Coux)

Place Chanoux, actuel hôtel de ville où se trouvait le couvent des franciscain, signe de l'importance de ce lieu dans la ville (photo E. Coux)

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