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Flanerie-historique-dans-l-ancien-duche-de-Savoie.over-blog.com

Les articles proposent une flanerie historique dans les anciennes terres des ducs de Savoie, c'est à dire l'Ain actuel, les départements de Savoie et de haute Savoie, les Alpes Maritimes, le Piémont et la Suisse romande. L'objectif est de faire coincider l'histoire et le patrimoine existant

Les relations entre Genève et la Savoie au XVe – XVI e siècles  sous l’influence des circuits économiques mondiaux.

"La pêche miraculeuse" de Conrad Witz (1444)

"La pêche miraculeuse" de Conrad Witz (1444)

Parler des relations entre le duc de Savoie et Genève au XV e/XVI e siècle revient à parler de la séparation entre la ville de Genève et le duché de Savoie qui s’est produite en deux temps, en 1536 et 1602 et à essayer d’en connaître les raisons. Et elles sont très mal connues, car, au lieu d’expliquer les causes de cette fracture, les historiens traditionnels de Genève comme Jacques Savion (1546-1613), David Piaget (1580-1644), Jacob Spon (1647-1685), ou encore récemment Paul-Frédéric Geisendorf (XX e) par exemple, ont cherché avant tout à donner à l’indépendance de la ville une légitimité à travers l’histoire. Il fallait faire de Genève l’équivalent d’une ville communale italienne, c’est à dire trouver les preuves d’une ancienneté d’un organisme communal autonome. Et la rupture avec la Savoie dans leurs récits n’en était pas vraiment une car elle était vue certes comme une action un peu plus forte que les autres pour défendre l’indépendance de la ville, mais pas comme un changement politique complet de dépendance à indépendance.

 

L’histoire traditionnelle de Genève était donc une sorte de compilation de tous les affrontements entre l’embryon communal et ses seigneurs l’évêque de Genève, le comte de Genève et le duc de Savoie essentiellement. Au XVIIIe siècle, les différents récits historiques sur Genève allaient évoluer avec de nouveaux enjeux provoquant une dualité sur le plan gauche/droite. La république de Genève deviendra sous la plume de certains historiens un modèle d’état pré-socialiste ce qui forcera d’autres auteurs plus conservateurs comme Jean Picot (1777-1864)  à réécrire une histoire moins socialisante. Cependant, ces historiens ne remettaient pas en cause l’opposition traditionnelle entre le duc de Savoie et Genève. Au contraire, Genève était devenue pour les pré-socialistes un modèle de peuple se libérant de son souverain-tyran.

 

Ce n’est que récemment que des chercheurs ont osé sortir de l’historiographie traditionnelle genevoise et ont trouvés de nouvelles pistes qui permettent de mieux comprendre l’histoire de Genève au moyen-âge. Il faut citer notamment J.F. Bergier pour avoir mis en lumière un élément essentiel de l’histoire genevoise jusqu’ici méconnu, les foires de Genève au XV e et XVI e siècle. D’autres auteurs encore plus récents comme Mathieu César  sont allés plus loin jusqu’à contester la mésentente traditionnelle entre la Maison de Savoie et la ville de Genève.

 

Vous l’aurez compris, pour comprendre les motifs de la rupture entre la Maison de Savoie et Genève, il faut prendre du recul, sortir du roman historique traditionnel genevois et analyser la situation économique, démographique, politique et religieuse de la ville et prendre en compte cette situation dans le contexte international.

 

Donc après un premier temps où je présenterais la Genève des foires internationales, je démontrerai dans une seconde partie que la cause de la rupture violente entre Genève et la Savoie n’était pas dû à une ingérence du duc de Savoie mais à une modification des circuits économiques internationaux suite notamment à la fermeture de l’Orient et aux grandes découvertes de la fin du XV e siècle début du XVIe siècle. Le tout dans le contexte des guerres d’Italie du XVI e siècle. 

Place du Mollard à Genève où se situaient les grandes foires au XV e siècle (photo E. Coux)

Place du Mollard à Genève où se situaient les grandes foires au XV e siècle (photo E. Coux)

1-la Genève des Foires

 

Les foires de Genève sont l’élément essentiel pour comprendre la place importante de la ville dans l’Europe. Si ces foires existent depuis le XIIe ou XIIIe siècle, elles prennent leur importance surtout vers 1390 probablement grâce à la volonté d’une personne, le Pape Clément VII (1378-1394) qui n’est autre que Robert de Genève dernier fils du comte Amédée III de Genève.

 

Clément VII et l’économie européenne au moyen-âge

Clément VII est élu en 1378 suite à la défection d’une partie des cardinaux déçus de l’élection d’Urbain VI à Rome. Cependant, cette nouvelle élection ne permit pas de renverser ce dernier Pape. Clément VII ne pouvait pas rester à Rome et partit s’installer à Avignon que les Papes avaient quitté que récemment. Clément VII y restaura facilement tout l’appareil administratif de la curie pontificale créant une papauté réellement compétitive face à Rome. Dans ce cadre géographique, Genève prend tout son sens quand on pense que les relations entre l’Allemagne et Avignon passaient par Genève.

 

Évidemment, il en faut plus pour faire de Genève une ville plus importante qu’une simple étape. Rappelons que les Papes sont à Avignon depuis 1309 ce qui n’a pas profondément changé à cette époque l’importance de la ville de Genève au niveau international. Le changement se fera seulement à la fin du XIV e siècle. Avant cette date, Genève était plutôt une ville de second ordre en Europe. C’était certes un siège épiscopal, mais modeste.

 

La grande ville du Léman était plutôt Lausanne qui bénéficiait d’un pèlerinage important, mais aussi de la proximité avec une des grandes voies de passage qui depuis le milieu du XII e siècle, reliait l’Italie avec les foires de Champagnes.

Carte du comté de Savoie à la fin du XIII e siècle et des routes commerciales passant par les cols du Mont-Cenis et du Grand-Saint-Bernard (Carte E. Coux)

Carte du comté de Savoie à la fin du XIII e siècle et des routes commerciales passant par les cols du Mont-Cenis et du Grand-Saint-Bernard (Carte E. Coux)

D’ailleurs, la principauté de Savoie s’était aussi construite sur les variantes de cette route qui passaient l’une par le col du Mont-Cenis et l’autre comme nous l’avons vu par le col du Grand-Saint-Bernard. Et la configuration territoriale du comté de Savoie suivait géographiquement ces routes : Du Piémont à la Bresse pour le passage du Mont-Cenis (la Bresse est une alternative de Lyon pour le trajet après Chambéry) et du Piémont-Nord au Pays de Vaud pour le passage du Grand-Saint-Bernard.

 

Nous comprenons maintenant l’importance de la forteresse de Chillon au bout du lac, mais aussi la situation du comté de Genève hors de ces routes qui restait de fait indépendant vis à vis du comté de Savoie (bien que la ville de Genève était déjà une châtellenie savoyarde à cette époque avec pour centre le château de la tour de l’île).

 

Mais au milieu du XIV e siècle, les foires de Champagnes disparaissaient pratiquement suite à plusieurs évènements dont une grave crise économique au début du XIV e siècle, la peste noire de 1348 et surtout à cause de la guerre de cent ans. Le reste des foires avait été déplacé à Chalon-sur-Saône et il semble que les marchands cherchaient même à contourner la France. 

 

J. F. Bergier a bien mis en évidence l’émergence d’un nouvel axe commercial Catalogne-Silésie à partir des années 1370 perpendiculaire à l’axe traditionnel des foires de Champagne Gênes/Pays-Bas. La place de Genève à l’intersection de ces deux axes devenait donc de plus en plus évidente pour accueillir ces foires. 

commerce genevois au XV e siècle (d'après J. F. Bergier)

commerce genevois au XV e siècle (d'après J. F. Bergier)

Nous comprenons alors l’ambition de Clément VII sur Genève. Il est très probablement à l’origine de la charte de Franchise de 1387 qui laisse beaucoup de libertés aux banquiers. L’évêque de Genève qui est à l’origine de cette charte, Adhémar Fabri avait été nommé par le Pape et était en réalité plus un fonctionnaire de la curie qu’un évêque siégeant à Genève, même si il connaissait très bien la ville à cause de son ancienne fonction de prieur de Plainplalais. Nous voyons le pape mener aussi une grande politique de promotions religieuses et de constructions autours de Genève comme le montre encore actuellement l’abbatiale de Saint Claude qui porte les armes du pontife. Et surtout, il cumule avec le titre de Comte de Genève dès 1392. Il se pourrait que la mort du Comte Rouge, Amédée VII de Savoie en 1391 ait aussi un rapport avec cette affaire, afin d’écarter la Maison de Savoie des rives du Léman.

 

Les ducs de Savoie à Genève

Mais la Maison de Savoie à la fin de la dynastie des Genève va finalement acheter ce comté en 1401 et s’intéresser de très près à cette ville et à ces foires. Amédée VIII va notamment chercher à maintenir une monnaie forte avec un bon poids d’argent et d’Or dans ses pièces qui deviennent le dollar de l’époque.

Château de Chillon, centre du bailliage savoyard du Chablais. C'était la forteresse qui gardait la route du Grand-Saint-Bernard (photo E. Coux)

Château de Chillon, centre du bailliage savoyard du Chablais. C'était la forteresse qui gardait la route du Grand-Saint-Bernard (photo E. Coux)

Nous les voyons aussi soucieux de la sécurité notamment en 1430. Cette inquiétude était réelle et non un prétexte pour s’assurer du contrôle total de la ville comme elle présentée dans l’historiographie. Genève était à cette époque une ville champignon qui est passée de 2500 habitants en 1370 à 10 000 en 1450. Dans ce cadre, il y avait de tout comme population y compris une grosse délinquance qui trouvait là un terrain adéquat.

 

Le duc de Savoie était aussi soucieux de favoriser et d’entretenir les voies commerciales. Déjà par des accords diplomatiques comme nous le voyons par exemple avec le roi d’Aragon pour la ville de Barcelone, puis d’une manière concrète en entretenant et sécurisant les infrastructures de transports dans ses états (acquisition de la Cluse de Nantua qui est l’accès au marché français, entretien constant du pont de Mâcon, voir occupation de la ville de Mâcon comme en 1423 quand cela a été nécessaire). Il y a plusieurs autres exemples mais nous ne voulons pas entrer dans les détails.

 

Il faut aussi souligner l’importance du niveau religieux notamment avec les conciles de Constance (1414-1418) et de Bâle (1431-1449) qui se trouvaient géographiquement sur des étapes importantes des foires de Genève. L’importance de ces conciles pour Genève nécessiterait aussi une publication entière.

 

Le religieux jouaient alors un grand rôle dans l’attractivité des villes. Les liens avec la religion étaient forts d’autant plus que les ducs de Savoie Amédée VIII, Louis et Amédée IX ont plus été des bigots que des guerriers. Le duc Louis de Savoie fera même du couvent de Rive à Genève son palais ducal entre 1446 et 1465. Mélanger un palais et un couvent n’était ni nouveau ni original. Amédée VIII s’était fait construire son ermitage de Ripaille et son ancêtre Aymon de Savoie s’était lui fait construire un Palais accolé à l’abbaye d’Hautecombe.

 

Ses successeurs feront du palais épiscopal de Turin, leur nouveau palais ducal qui est imbriqué dans la cathédrale de la ville. Mais l’exemple européen de palais-monastère le plus parlant est celui de l’Escorial de Philippe II près de Madrid.

Plan simplifié de Genève au XV e siècle (carte E. Coux d'après Blondel)

Plan simplifié de Genève au XV e siècle (carte E. Coux d'après Blondel)

Le duc Louis cherchera aussi à faire de l’église franciscaine de Rive la nouvelle nécropole de la Maison de Savoie en remplacement d’Hautecombe. Et l’achat du Saint Suaire avait été d’abord destiné à cette église avant que cette relique soit placée à Chambéry. L’église de Rive était aussi l’église de la nation florentine qui étaient à cette époque les principaux banquiers de Genève (Genève avait la principale filiale des Médicis). Cela montre les liens étroits entre le politique et les affaires économiques. Il est très probable que le duc de Savoie chercha ,à travers cette nécropole située sur la grande rue commerçante de la ville, à communiquer au sens moderne du terme. Le duc de Savoie semble avoir voulu se donner une image de protecteur de la finance européenne.

 

La question qui revient fréquemment est que les ducs de Savoie ont voulu faire de Genève leur capitale et qu’ils ont échoué à cause de la résistance des genevois.

 

Effectivement, Genève était devenue la capitale officieuse des ducs de Savoie entre 1430 et 1467. Mais elle perdit ensuite ce statut pour divers facteurs. Le premier est que l’importance économique de Genève décroît à partir de 1463 où les grandes foires sont « transportées » à Lyon. Les foires de Genève vont devenir à partir de cette époque complémentaires de celles de Lyon qui existaient depuis 1420. Les Medicis transportent dès 1465 leur principale filiale bancaire vers Lyon. L’église des dominicains de confort à Lyon devient leur nouvelle église mais nous remarquons qu’elle était proche du couvent des célestins qui était le pied à terre du duc de Savoie à Lyon.

 

Le deuxième facteur est la montée en puissance des territoires piémontais de la Maison de Savoie. Amédée VIII hérite de la Principauté d’Achaïe en 1418 qui lui donne de puissantes et riches villes dont Turin, Pignerol et Mondovi. En 1427, il annexe Verceil dans le Milanais et en 1436, Chivasso la capitale du Montferrat avec une suzeraineté sur cet état. Cette monté en puissance était réelle puisque Turin deviendra effectivement la nouvelle capitale de la Savoie en 1563.

carte du duché de Savoie au XV e et début du XVI e siècle (carte E. Coux)

carte du duché de Savoie au XV e et début du XVI e siècle (carte E. Coux)

La guerre des églises à Chambéry

Enfin le troisième facteur est la résistance de Chambéry, capitale officielle de la Savoie au XV e et au début du XVIe siècle et qui compte bien y rester en contrant la concurrence de Genève. Sa bourgeoisie était beaucoup plus ancrée sur le territoire que ne l’était celle de Genève. L’exemple de sa puissance a été la construction dès 1430, c’est à dire dès l’époque où Genève a la capacité de devenir la capitale de la Savoie, de l’immense église des franciscains de la ville qui est simplement la plus grande église de l’espace savoyard du XV e siècle. C’est une église plus grande que les cathédrales de Turin et de Genève par exemple. Elle existe toujours et c’est l’actuelle cathédrale de Chambéry.

 

A Chambéry, c’est une véritable guerre civile « light » qui se fait par Ordres religieux interposés. L’église des franciscains a été voulue pour être plus grande que celle des dominicains qui est une fondation du duc de Savoie Amédée VIII en 1418. Son fils, Louis de Savoie cherchera aussi à implanter sans succès les franciscains de l’Observance pour concurrencer les franciscains conventuels. Ceux-ci ne pourront s’établir qu’après 1470, après sa mort, une fois que le nouveau duc de Savoie Amédée IX (successeur de Louis) avait démontré son attachement à garder Chambéry comme capitale.

 

Cet attachement s’était illustré en faisant des travaux à la Sainte Chapelle qui était devenu le centre d’une collégiale depuis 1467 en attente de devenir un siège épiscopal, mais aussi par l’arrivée timide du Saint Suaire dans la ville. De plus, depuis 1463, Chambéry bénéficiait du transit des marchandises en direction des foires de Lyon ; transit qui allait favoriser sa renaissance économique ce qui allait entraîner vers 1480/90, la recréation d’un atelier monétaire dans la ville.

 

Eglise des franciscains conventuels de Chambéry devenu en 1779 cathédrale et appelée "la Métropole". (Photo E. Coux)

Eglise des franciscains conventuels de Chambéry devenu en 1779 cathédrale et appelée "la Métropole". (Photo E. Coux)

La bourgeoisie de Genève

A Genève, la bourgeoisie était beaucoup moins puissante. L’église emblématique de la bourgeoisie était à l’époque l’église paroissiale de la Madeleine qui bien que grande, n’a pas des dimensions hors du commun contrairement à l’église des franciscains de Chambéry ou d’autres églises « civiques » de grandes villes de l’espace savoyard comme l’église Notre Dame de Bourg-en-Bresse (aujourd’hui, cathédrale de la ville) ou comme la cathédrale de Mondovi (plus belle église du Piémont aujourd’hui détruite).

 

La commune de Genève semble se renforcer après 1450 à une époque où la Maison de Savoie est toute puissante dans la ville . La tour Baudet qui est la représentation de la commune, construite à cette époque, montre des éléments de style piémontais en briques ce qui est plutôt un style en faveur de la Maison de Savoie (comme les châteaux de Vufflens et d’Estavayer par exemple). Ces deux éléments donnent plutôt l’impression d’un partenariat qu’une opposition entre le duc de Savoie et la commune.

 

(La Maison de Savoie semble à cette époque toute puissante à Genève. Elle contrôle le siège épiscopal de Genève depuis 1444 et le choix du titulaire de ce siège est confirmé par l’indult pontifical en 1452. Celui qui loge dans le Palais des évêques de Genève est à l’époque le vicaire épiscopal, Thomas de Sur, confesseur de la duchesse Anne de Chypre, c’est un fidèle conseiller du couple ducal. Étant un franciscain de l’Observance, il partage aussi avec le couple ducal sa dévotion.)

 

Mais même après 1463, les relations entre la ville et le duc de Savoie continueront à être bonnes (même si il y a des petits mécontentement après 1467 du fait même que les ducs délaissent en partie cette ville et abandonnent partiellement l’idée d’en faire une capitale). Les relations étaient beaucoup plus houleuses dans les autres villes du duché de Savoie comme à Bourg-en-Bresse, à Nice et dans le Piémont par exemple.

 

La Tour Baudet comporte des éléments de style piémontais en briques (photo E. Coux)

La Tour Baudet comporte des éléments de style piémontais en briques (photo E. Coux)

Il se pourrait que la crise de 1476 (guerre de Bourgogne) soit dû aux restructurations de ce marché vers Lyon avec une clientèle pour Genève spécialement alémanique. Cela est encore visible dans la chapelle dite « des allemands » située dans l’église de Saint Gervais (chapelle qui a été affectée ensuite à ceux qui étaient tombés lors de l’escalade). Cette chapelle de style flamboyant mais qui rappelle les églises halles a été construite par la « nation allemande de Genève » vers 1478 ce qui confirme cette restructuration et le remplacement des marchands italiens par des marchands allemands (la « nation allemande » de genève était l’ensemble des marchands de langues allemandes qui travaillaient à Genève). Les villes de Berne et Fribourg dépendaient énormément de ce marché d’où leurs implications dans les deux crises en 1476 et en 1536.

 

Les relations semblent se détériorer seulement à partir du XVI e siècle et notamment à partir de 1519. Que s’est il passé ?

 

 

2- Rupture avec le duc de Savoie et causes de cette rupture

 

Cette rupture est d’autant plus surprenante que contrairement à ce que dit l’abondante historiographie traditionnelle genevoise, la ville n’est pas prédisposée à se révolter contre le duc de Savoie.

 

Il faut donc chercher la source de cette révolte dans une dégradation économique. Comme nous l’avons vu les foires de Lyon n’étaient pas la cause de cette dégradation puisque Genève avait su s’adapter en devenant un des principaux relais de Lyon pour l’Allemagne.

 

Chapelles des Allemands accolée à l'église de Saint Gervais, probablement construite vers 1478 (photo E. Coux)

Chapelles des Allemands accolée à l'église de Saint Gervais, probablement construite vers 1478 (photo E. Coux)

Les grandes découvertes

Il semble bien que la cause principale de la rupture entre le duché de Savoie et la ville de Genève ait été les grandes découvertes de la fin du XV e et du début du XVI e siècle (Christophe Colomb qui découvre l’Amérique, etc.…). Ces grandes découvertes ont été le fruit de recherches de nouvelles routes conduisant aux Indes, soit en contournant l’Afrique comme l’ont fait les Portugais, soit en allant vers l’Ouest, ce que promettait de faire Christophe Colomb dans son expédition en 1492.

 

Cette soif de découverte et d’exploration était en réalité venu combler la fermeture de la route des Indes vers l’Est suite à la prise de Constantinople en 1453. Cette fermeture avait été une catastrophe pour toute l’Italie qui avait établit sa puissance commerciale grâce aux relations vers l’Orient méditerranéen.

 

La fermeture de cet espace allait déplacer le centre de gravité commercial de l’Europe sur la façade atlantique. Deux événements ont été là aussi importants : la prise de Gibraltar en 1492 par les couronnes castillanes et aragonaises ; prise qui sécurise ce passage entre la Méditerranée et l’Océan Atlantique et la montée en puissance de la ville d’Anvers au début du XVI e siècle qui devient le nouveau centre commercial de l’Europe (la ville passe de 30 000 à 100 000 habitants de 1500 à 1530) (les foires d’Anvers remplacent les foires de Bruges).

 

Les grandes découvertes vont aussi développer les techniques maritimes qui s’améliorent énormément au cours de cette période. De ce fait, les génois vont laisser le commerce terrestre pour aller directement par bateaux à Anvers et profiter des ports de Séville et de Lisbonne qui deviennent les plus grands ports d’Europe.

 

Les Allemands de leur côté vont aller s’approvisionner directement à Anvers (par Francfort et Cologne) délaissant de fait de plus en plus Genève et Lyon.

Carte du trafic maritime de Gênes.

Carte du trafic maritime de Gênes.

Une autre cause à cette rupture semble se rajouter. La duchesse douairière de Savoie, Marguerite d’Autriche qui a construit l’imposant mausolée de Brou à Bourg-en-Bresse, qui est aussi seigneur de la Bresse, va devenir régente des Pays-Bas en 1507 et obtenir la Franche-Comté en 1509. De ce fait, il semble qu’elle avait cherché à favoriser le trajet entre Anvers et Lyon par ses états. Notamment par la Franche-Comté et Bourg-en-Bresse, ce qui excluait de fait le plateau Suisse et Genève de ces échanges.

 

Dans ces deux cas, nous voyons donc que c’est les villes de Genève, Fribourg, Berne et dans une moindre mesure Lausanne qui ont été le plus impactés par ces changements. Cela nous fait comprendre le pourquoi de l’implication des villes de Berne et de Fribourg dans l’invasion de 1536 et dans la guerre civile genevoise.

 

 

La survie des foires de Lyon liée aux accords avec l’Empire Ottoman.

La ville de Lyon allait subir moins durement cette crise à cause de deux facteurs. Le premier est que Marguerite d’Autriche a maintenu la liaison commerciale entre Anvers et Lyon (par Bourg-en-Bresse et la Franche-Comté). Cela explique l’ascension de Besançon en 1535/1536 qui va hériter en 1535 des foires des Changes génoises qui étaient établie précédemment à Chambéry.

 

Sainte Chapelle de Chambéry. les travaux reprennent en 1467, année où elle est élevée en collégiale (photo E. Coux)

Sainte Chapelle de Chambéry. les travaux reprennent en 1467, année où elle est élevée en collégiale (photo E. Coux)

Mais la raison principale de la survie de Lyon est que le roi de France, à contre courant des autres souverains européens, allait réussir à établir de bonnes relations commerciales avec les Turcs Ottomans. Les négociations avec lui commenceront en 1519 pour aboutir aux capitulations (qui sont des accords commerciaux) en 1536 très favorables pour la France ; accords qui seront renouvelés en 1569.

 

La conséquence de ces accords est que Marseille allait à cette époque se développer et devenir un des principaux ports français et un des principaux fournisseurs de Lyon. Le commerce terrestre transalpin s’en trouvera là aussi affecté. Mais, petit à petit, le marché de Lyon deviendra de plus en plus « national » au niveau français du fait de la mésentente entre le roi de France et les Habsbourg. Rappelons que ces derniers sont empereurs, tiennent l’Espagne, les Pays-Bas, l’Autriche et la Lombardie (après 1525).

 

La place commerciale de Genève était en réalité extrêmement liée à celle de Lyon tenue par le roi de France. A partir de 1517/1519, la neutralité du duc de Savoie qui était plutôt alors en faveur du roi de France allait se détacher de lui pour aller vers le nouvel Empereur Charles Quint qui est couronné en 1519. C’est à cette époque qu’est rétablit l’évêché de Bourg-en-Bresse au détriment de celui de Lyon ce qui créé un point de désaccord supplémentaire entre le duc et le roi de France (1521).

 

Ce changement d’alliance politique allait avoir de graves conséquences pour le commerce genevois et il est intéressant de faire le parallèle avec une première révolte à Genève en 1519 ; révolte qui est alors réprimée par le duc de Savoie.

vue du choeur de l'abbatiale de Brou édifiée entre 1505 et 1530  par la duchesse douairère Marguerite d'Autriche femme du duc Philibert II de Savoie

vue du choeur de l'abbatiale de Brou édifiée entre 1505 et 1530 par la duchesse douairère Marguerite d'Autriche femme du duc Philibert II de Savoie

Cette inflexion allait continuer puisqu’en 1521, le duc de Savoie se maria avec Béatrice de Portugal, la sœur de la femme de Charles Quint et fille d’Emmanuel de Portugal. Ce mariage n’était pas qu’une alliance avec les Habsbourg, c’était aussi un moyen pour le duc de Savoie de s’adapter à cette nouvelle économie atlantique comme l’avait fait les génois. Rappelons que Lisbonne était un des plus grands ports d’Europe et que les portugais travaillaient à découvrir de nouvelles routes maritimes depuis la seconde moitié du XV e siècle.

 

Le développement de Nice dans l’économie du duché de Savoie

Nous voyons aussi le duc de Savoie s’intéresser de très près dès les années 1512/1513 à ses possessions de Nice. Il améliore les liaisons entre Nice et le Piémont notamment la route de la Brigue en 1513, puis la route du col de la Fenestre après les années 1520. Il renforce les fortifications de Nice à partir de 1512 et surtout en 1517 par l’adjonction de trois grosses tours destinées à l’artillerie (boulevards) et d’un formidable mur de défense de sa ville haute. Fortifications qui permettront de résister ensuite au siège de 1543 contre l’armée franco-turc.

 

Entre 1522 et 1530, il accueillera l’Ordre des hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem à Nice et Villefranche-sur-mer probablement pour entamer une collaboration maritime. L’Ordre des hospitaliers était une force navale puissante. Les accueillir permettait de développer la construction navale, mais aussi la défense côtière.

vue sur le vieux Nice (photo E. Coux)

vue sur le vieux Nice (photo E. Coux)

En les accueillant, le duc de Savoie se mettaient en porte à faux avec les ottomans qui venaient de chasser les hospitaliers de l’île de Rhode en 1522. Dans cette situation, le duc de Savoie avait eu une attitude à l’opposé du roi de France qui prenait contacte avec les Ottomans en vue d’une alliance.

 

L’évènement le plus emblématique a été la création par le duc de Savoie, en 1529 d’un hôtel des monnaies dans la ville de Nice, rue Barileria. Cela montre soit un essor économique existant, soit une volonté de développer l’économie au travers le trafic maritime. Le séjour de la famille ducale entre 1532 et 1533 est le témoignage de l’intérêt du duc pour cette ville. Et cet intérêt se poursuivra tous le long du XVI e et du XVII e siècle.

 

L’accélération des évènements

En 1522, le duc de Savoie avait laissé le siège épiscopal de Genève à une personne qui n’était pas de sa famille, Pierre de la Baume, un homme dont la famille est vassale du duc de Savoie en Bresse mais qui avait aussi de nombreux liens avec les Habsbourg.

 

Cet évêque arriva dans la ville en 1523 et paradoxalement ce fut l’occasion de réjouissances. De plus, le 04 août 1523, le duc de Savoie vint présenter son épouse à la ville et ce fut aussi l’occasion de nouvelles réjouissances festives. Ces fêtes et le long séjour du couple ducal avaient en réalité pour but d’apaiser les tensions entre factions ennemis dans la ville et de promouvoir un retour à la normale, ce qui se produisit.

 

Mais, en 1525, le roi de France fut vaincu la bataille de Pavie ce qui le coupa de l’Italie (Il perdit le duché de Milan). Les relations commerciales entre l’Italie et Lyon deviendront de ce fait plus compliquées. La conséquence fut que le duc de Savoie se rapprocha franchement de Charles Quint à cette date. C’est probablement ce rapprochement qui conduisit à une autre révolte, plus dure, contre le duc de Savoie à Genève.

 

Il se peut que les liaisons commerciales vers Lyon passant par la Franche-Comté, territoire de Marguerite ait été renforcés à cette époque au détriment de celles passant par Berne et Genève. 1526 est l’époque où Genève sans l’autorisation du duc de Savoie signe un traité de combourgeoisie avec Berne et Fribourg. L’intervention de Berne, la même année, amène au pouvoir dans la ville le parti opposé au duc de Savoie. Le divorce est brutal puisque 49 partisans du duc de Savoie sont exécutés à Genève.

La ville de Pérouge bénéficiait du trafic commercial entre Genève et Lyon (photo E. Coux)

La ville de Pérouge bénéficiait du trafic commercial entre Genève et Lyon (photo E. Coux)

La guerre civile allait en 1527 se reporter aux alentours immédiats de Genève. Les partisans du duc de Savoie qui s’appelaient les chevaliers de la Cullier, tiendront la campagne et les châteaux autour de la ville.

 

L’intervention de Berne se comprend dans le fait qu’elle est liée elle-aussi du commerce entre Lyon et Genève et avait besoin de l’alliance entre le duc de Savoie et le Roi de France pour son économie.

 

En 1528, les génois se détachent de l’alliance française pour se mettre dans l’alliance habsbourgeoise. La conséquence est que une fois de plus, ils sont exclu de Lyon. C’est peut être ce qui va favoriser en 1529, la « grande Rebeyne » à Lyon, une révolte populaire qui indique une crise économique probablement dû à la conjoncture de mauvaises récoltes (jusqu’en 1532) et de la fermeture partielle du marché italien ; marché italien qui s’est aussi fermé à cause de la perte de la Lombardie en 1525 (suite à la bataille de Pavie) et du changement d’alliance du duc de Savoie.

 

En 1530, les foires de Changes génoises du fait de l’exclusion des génois de Lyon ont été installées à Chambéry. Nous voyons dans ce cas, peut être le poids du lobby chambérien. La même année, les troupes combourgeoises de Berne et Fribourg faisaient une expédition à Genève et battaient les chevaliers de la Cullier, partisans du duc de Savoie. Cela les affaiblira et évitera que Genève ne capitule mais cela ne les arrêtera pas. Les affrontement autours de Genève dureront jusqu’en 1536.

 

En 1531, Charles Quint donna le comté d’Asti à la Savoie. Ce don sanctionna quasi-officiellement la fin de la neutralité du duc de Savoie (Le comté d’Asti était considéré comme une terre traditionnellement française).

 

La monté des tensions s’exprima aussi sur le plan religieux. En 1532, poussés par Berne qui avait adopté dès 1528 la religion protestante, les réformateurs peuvent prêcher publiquement à Genève sans être inquiétés. Ils y sont même encouragés. En 1533, la situation religieuse est tellement dégradée à Genève que l’évêque quitte la cité. L’évêque se rallie alors officiellement avec le duc de Savoie en mettant à la disposition des chevaliers de la Cullier ses châteaux de Peney, Thiez et Jussy.

église de la Madeleine à Genève qui a probablement été la principale église civique de la ville au moyen-âge (Photo E. Coux)

église de la Madeleine à Genève qui a probablement été la principale église civique de la ville au moyen-âge (Photo E. Coux)

Les années 1534-1536, le duc de Savoie proche d’une victoire sur Genève

En 1534, Berne menaça de se retirer de la combourgeoisie si le dominicain Guy de Furbity de Plainpalais prêchait l’Avent à Genève. Celui-ci fut mis en prison et Guillaume Farel occupa le couvent des franciscains. Ce fait montre en réalité une montée des tensions entre Berne et les genevois révoltés qui voulaient rester dans le giron catholique et qui étaient alliés aux fribourgeois. L’évêque de son côté, chercha aussi l’appuie des fribourgeois qui étaient restés catholiques. Mais après que la situation ait dégénéré (certains fribourgeois s’étaient retrouvés en prison pour trahison), Fribourg se retira de la combourgeoisie. Cela amena à ce que plusieurs citoyens de Genève, tenant à la foi catholique quittent la ville. Genève organisera ensuite une répression contre ces fugitifs et surtout sur ceux qui étaient suspectés de vouloir partir.

 

Le 23 août 1534, le conseil des deux cents de Genève ordonnera la destruction de tous les faubourgs au Sud de la ville soit les faubourgs de Rive, de Saint Victor (près de Bourg-le-four), de Saint Léger, de Palais et de la Corraterie. Ces destructions sans contrepartie avaient amené à la défection d’une grosse partie de la population modeste qui résidait dans ces faubourgs.

 

La situation n’était cependant pas optimale pour Genève. Le duc de Savoie ne traitait pas avec cette ville mais avec Berne qui servait à la fois d’intermédiaire, mais aussi de protecteur. C’était les troupes bernoises par deux fois qui avaient permis aux opposants du duc de Savoie de se maintenir dans la ville. Mais le 23 octobre 1534, à Turin, Berne cherchait à renouveler l’alliance traditionnelle qu’elle avait avec la Savoie ; alliance qui avait été conclue pour la dernière fois en 1509, mais qui a été interrompue en 1526.

 

La combourgeoisie avec Genève posait cette fois des problèmes à Berne qui cherchait une porte de sortie avantageuse pour elle. Les négociation piétinèrent et furent renvoyées à la diète de Lucerne le 4 mars 1535 dans le but réel de trouver un organisme supérieur qui oblige Berne à ne plus porter secours au genevois et qui soit une excuse.

 

La conclusion de ces négociations était que la question genevoise allait donc se terminer en faveur du duc de Savoie. Seul deux incidents avaient risqué de tout remettre en question. Le 10 août 1535, à Genève, la messe avait été suspendue sous la pression de Farel ce qui provoqua le départ de nombreuses personnes. Et, en octobre 1535, une troupe de 500 personnes venant de Neuchâtel se porta au secours des genevois.

 

Mais de nouveau, allait se produire un évènement qui allait tout changer. Le duc de Milan Jean-Paul Sforza était mort le 1er novembre 1535 sans héritier (le duc François II Sforza était mort le 24 octobre). C’était une véritable opportunité pour le roi de France qui cherchait à reconquérir ce duché. Malheureusement, ce dernier devait passer par le duché de Savoie allié maintenant aux Habsbourg pour se rendre à Milan. De ce fait du fait de l’alliance entre la Savoie et les Habsbourg, cela allait entraîner une guerre contre le duc de Savoie. La situation genevoise devenait alors pour le roi de France une réelle opportunité pour affaiblir le duché de Savoie. Le 14 décembre 1535, une petite armée française de secours arriva à Genève ce qui amena à la défection des assiégeants partisans du duc de Savoie.

c'est entre 1510 et 1530 qu'est construite la tour Sud de la cathédrale de Genève (photo E. Coux)

c'est entre 1510 et 1530 qu'est construite la tour Sud de la cathédrale de Genève (photo E. Coux)

 Invasion du duché de Savoie et Genève entre Berne et la France

Les bernois, apprenant cette nouvelle donnée géopolitique allaient faire leur choix et déclarer la guerre à la Savoie le 16 janvier 1536. Le 29 janvier, l’armée bernoise était à Morges et le 2 février elle faisait son entrée à Genève. Mais les bernois ne venaient pas délivrer Genève, il venaient l’annexer. Le 05 février, les bernois réclamaient aux genevois les droits souverains de l’évêque et du Vidomne.

 

La résistance genevoise aux bernois sera possible que grâce au contrepoids du roi de France dont les troupes étaient proches et qui n’avait pas envie de laisser Genève à Berne. C’est aussi avant mai 1536 que Calvin qui est français se rendra à Genève. Il fut appelé par le réformateur français Guillaume Farel. Il prit de suite dans cette ville un ascendant politique indéniable et fut un véritable contrepoids au parti bernois.

 

Les relations entre Berne et Genève allaient se poursuivre au travers de chicaneries territoriales. Certains anciens partisans du duc de Savoie et de l’évêque de Genève qui avaient eu vent de ces chicaneries allaient prendre la nationalité bernoise et travailler pour Berne ce qui allait encore envenimer les relations berno-genevoises.

 

En février 1538, les français proposent concrètement leur domination sur Genève, mais les bernois interviennent. C’est l’année où Calvin, qui est français, est chassé de Genève (avec ses partisans et Farel). Les bernois feront pression pour que Genève ne devienne pas française. En 1539, c’est la signature d’un accord entre français et bernois pour le partage de la conquête savoyarde et un statut quo pour Genève. En 1541, Calvin revient à Genève ce qui montre une volonté pour les genevois de garder leur indépendance vis à vis de Berne. Il réussit à mettre aux postes clefs de plus en plus de français aux détriment des partisans de Berne pour enfin réussir à abattre ses opposants en 1555. Rappelons que Genève était alors totalement enclavée dans les territoires bernois jusqu’en 1564.

 

En 1536 même si le roi de France avait conquis une bonne partie du duché de Savoie, il n’arriva pas à reconquérir le milanais. Et la situation économique allait encore se dégrader pour Genève qui ferma totalement ses grandes foires en 1555. C’est à cette époque que Genève effectua sa mutation de ville économique en capitale religieuse.

 

A cette époque, Théodore de Bèze, ami de Calvin devint le chef du parti des protestants de France. Le rôle de Genève dans la monté du protestantisme en France était réel. Une première invasion de Genève fut décidée entre le roi de France François II et le duc de Savoie Emmanuel-Philibert en 1560 (qui échouera avec la mort de François II la même année). Le duc de Savoie Emmanuel-Philibert avait récupéré la partie de ses états occupés par le France en 1559, suite à la victoire de Saint Quentin, comptait bien reprendre le reste. Le roi de France était lui bien décidé à mettre un terme aux troubles liés aux protestants dans son royaume. Donc une autre tentative d’invasion franco-savoyarde était à craindre.

 

La tour de l'île était le centre de la châtellenie savoyarde de Genève et du vidomnat. (photo E. Coux)

La tour de l'île était le centre de la châtellenie savoyarde de Genève et du vidomnat. (photo E. Coux)

C’est dans ce cadre, semble-t-il que les bernois ont cherché à se débarrasser de leur possession du Chablais et du Pays de Gex, pour éviter que le cadre d’une invasion de Genève soit aussi le prétexte d’une invasion et d’une annexion de la république de Berne par des troupes franco-savoyardes. Ce qui amènera au traité de Lausanne de 1564 où le duc retrouvera le Pays de Gex et le Chablais ainsi que les bailliages de Ternier et de Gaillard. Les années 1562-1564 avaient été aussi le début des guerres de religion en France (Lyon est protestante entre 1562 et 1567) et à Genève, Théodore de Bèze remplaça Calvin en 1564.

 

Genève va, après cette date, par sa situation géographique loin de la France, bénéficier de la modération du duché de Savoie vis à vis des protestants et échapper aux conséquences du massacre de la Saint Barthélémy.

 

L’aventure de Charles Emmanuel 1er

Mais, le nouveau duc de Savoie Charles Emmanuel 1er (1580-1630) allait en 1588 projeter un grand plan d’invasion de la vallée du Rhône de Lyon à Marseille en coordination avec ses cousins Charles Emmanuel de Savoie-Nemours gouverneur de Lyon et Henri de Savoie-Nemours gouverneur du Dauphiné. Son plan s’était inscrit dans la cadre de la  deuxième guerre de religion qui frappait la france. Il allait donc changer sa position qui était plutôt tolérante envers les protestants et appuyer officiellement le parti catholique de france.

 

Si ce projet avait réussit, cela aurait pu rétablir un lien commercial fort entre Lyon et Genève. Mais les bonnes relations entre le roi de France et les Ottomans étaient la clef de la réussite économique de Marseille et de la survie économique de Lyon, surtout avec la confirmation des capitulations en 1569 entre la France et l’Empire Ottoman.

 

Le rapprochement entre Lyon et Genève, c’est la France qui le fit avec l’annexion de la Bresse, du Bugey et du Pays de Gex en 1601, c’est à dire en annexant la route de Lyon à Genève. Cela pourrait expliquer la tentative de l’escalade de la part du duc de Savoie en 1602, année où son jubilé à Thonon avait eu un grand succès.

 

Le rapprochement ensuite de la Savoie avec la France allait éloigner définitivement la menace d’une autre attaque savoyarde (surtout avec la signature du traité de Bruzolo en 1610 ). L’assassinat d’Henri IV avait peut être lui-aussi mis fin temporairement à une volonté d’annexion de cette ville par la France. Néanmoins, après cette date, Genève n’est plus une priorité pour personne. En témoigne la disparition progressive de la Sainte-Maison de Thonon qui était destinée à concurrencer économiquement Genève et Lausanne. A Genève, la mort de Théodore de Bèze en 1605 va permettre l’émergence d’un gouvernement plus modéré.

 

La menace d’une annexion apparaîtra de nouveau après 1685, mais par la France, une fois que Louis XIV aura révoqué l’édit de Nantes. Genève aurait été une proie facile pour le roi de France et ses armées surtout lorsqu’on voit la facilité avec laquelle il avait annexé Strasbourg en 1681, une ville bien plus importante.

 

Ce qui sauvera la ville, c’est le retournement d’alliance du duc de Savoie qui deviendra en même temps, un précieux allié des anglais qui sont protestants. Genève deviendra une ville tampon commode entre la France et la Savoie et un lien entre l’Angleterre et la Savoie.

façade de la cathédrale-temple de Genève conçue par l'architecte de la Maison de Savoie Alfieri. (photo E. Coux)

façade de la cathédrale-temple de Genève conçue par l'architecte de la Maison de Savoie Alfieri. (photo E. Coux)

Conclusion

Les années de la fin du XVII e siècle sont aussi des années de détente au niveau religieux. La crispation des protestants et des catholiques va s’assouplir surtout par la progressive montée de la science qui va prendre la place des superstitions. Cela annonce la fin de la chasse aux sorcières (aussi bien du côté des protestants que des catholiques), mais aussi l’arrivée des lumières et de la première révolution industrielle en Angleterre dans la deuxième moitié du XVIII e siècle.

 

C’est aussi le signe d’une entente entre Genève et la Savoie en ce siècle où l’économie redémarre ; entente qui aboutit à la création de la ville franche de Carrouge. Carrouge n’entre pas en concurrence avec Genève contrairement au projet de grand port à Versoix (alors ville française) : projet du port Choiseul

 

Cette alliance tacite (parce que on est quand même dans des religions opposées) entre la Savoie et Genève va amener Genève a faire appel à l’architecte du roi de Sardaigne Alfieri pour refaire la façade du « temple civique » de Genève, l’ancienne cathédrale en style néo-classique (le duc de Savoie est aussi devenu en 1718 roi de Sardaigne).

 

Genève ne sera conquise par la France en 1798 qu’une fois le royaume de Sardaigne écrasé en 1796 par les armées révolutionnaires françaises. La ville deviendra à cette époque le centre de la préfecture du département du Léman.

 

Les liens entre la Savoie et Genève ont toujours été étroits. Genève a été dans l’antiquité une ville allobroge, puis le centre d’un diocèse comprenant principalement la haute-Savoie actuelle (débordant aussi dans le département de Savoie). C’était aussi la première capitale du royaume des Burgondes en « Sapaudia » qui allait devenir le royaume de Bourgogne.

 

Si Genève ne deviendra jamais la capitale de la nouvelle principauté savoyarde créée au XIV e siècle, elle jouera un rôle essentielle au point de vue économique au XV e siècle en propulsant le duché de Savoie comme un état qui compte en Europe. Malheureusement, les changements géo-économiques de l’Europe résultant de la prise de Constantinople et de la fermeture de l’Orient qui allait aboutir à l’essor de la façade atlantique, allaient être fatale à l’économie genevoise et créer une crise à Genève même. Ce paramètre lié à celui des guerres d’Italie menées par la France allait amener à la rupture entre Genève et la Savoie en 1536.

 

Cette rupture n’améliora pas la situation économique genevoise qui continuera à se dégrader jusqu’à la fermeture complète des grandes foires en 1555. Mais Genève avait alors entamé depuis 1536 sa mutation en capitale religieuse du protestantisme, rôle qui se réalisera pleinement avec l’arrivée au pouvoir dans cette ville en 1564 de Théodore de Bèze, le chef des protestants de France.

 

Les relations entre Genève et la Savoie  au XVe – XVI e siècles  sous l’influence des circuits économiques mondiaux.
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T
Yves Moreau, Docteur en Histoire me fait remarquer : Le premier paragraphe de la conclusion est à nuancer : si sur le plan théologique Genève n'a rien à craindre, c'est sur le plan politique qu'elle a les chocottes car elle est prise en tenailles entre deux puissances catholiques la France et la Savoie; et accueille de surcroit des protestants français en fuite et les Vaudois savoyards (1686-1689). La ville se retrouve submergée de réfugiés. (Voir la correspondance du résident français Dupré à Genève) Elle est donc obligée de jouer sur du velours pour ménager Louis XIV et le duc Victor Amédée II.
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E
Effectivement, je vous remercie pour votre remarque. La fin du XVII e siècle mérite une publication à elle seule. Je n'ai parlé que de la révocation de l'édit de Nantes car c'est pour moi un tournant essentielle dans la politique française, un tournant qui va amener à comprendre la suite de l'histoire dont le second refuge et à la fuite des Vaudois français et savoyard comme vous le soulignez, etc. <br /> <br /> Le retournement de Victor Amédée II envers la France va se faire lentement et au travers de deux guerres. C'est donc une époque complexe avec plein d'évènement comme "la glorieuse rentrée des Vaudois" et des tas d'autres évènements. Mais c'est dans cette période que se noue l'alliance avec l'Angleterre protestante. Il y a même la formation d'un bataillon de vaudois dans l'armée de VA II. <br /> <br /> <br /> Mais effectivement VA II reste un fervent catholique mais il est aussi en froid avec le Pape à cause principalement d'une question fiscale. Il se sert aussi des Vaudois et de son alliance avec l'Angleterre pour faire pression sur le Pape et obtenir des avantages de sa part. <br /> <br /> <br /> Le XVIII e siècle est aussi influencé par les "histoires de Genève" qui sont sorties et qui sortent régulièrement. Ces histoires ne sont pas impartiales et je pense faire (peut être si j'ai le temps), un texte sur leur enjeux politiques.
E
Pour un résumé des relations entre Genève et Turin au XVIII e siècle : https://www.academia.edu/1966535/Recensione_di_Carpanetto_D._Divisi_dalla_fede._Frontiere_religiose_modelli_politici_identità_storiche_nelle_relazioni_tra_Torino_e_Ginevra_XVII-XVIII_secolo_Torino_Utet_2009_pp._297
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T
Merci Emmanuel pour ces compléments. C'est un plaisir de vous lire et d'échanger.
T
Jacob Spon : Sur le sujet après la perte de Genève par la Savoie on peut lire l'ouvrage de Dino Carpanetto.
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T
Thierry Faure David-Nillet oui. https://www.abebooks.it/servlet/BookDetailsPL?bi=22742736171&searchurl=sortby%3D20%26an%3Ddino%2Bcarpanetto
E
Je vous remercie pour cet information complémentaire. Est ce que c'est le livre : "Divisi dalla fede. Frontiere religiose, modelli politici, identità storiche nelle relazioni tra Torino e Ginevra (XVII-XVIII secolo)," ?